Acte II
Politique
et humanisme
Vive l’humanité !
Jean-Baptiste Millière
Olympe
de Gouges - Manon Roland - Sophie Germain
Chapitre
premier
Le
désordre du Sexe
La petite Marie Olympe Gouze naît en 1748 à Montauban, elle est la fille d’un boucher, membre de la
bourgeoisie locale et la filleule du marquis de Pompignan, dramaturge à ses
heures, qui est peut-être son père biologique. A seize ans, la jeune fille est
mariée à un officier de bouche inculte qui lui fait un enfant et à la bonne
idée de mourir, peu après, emporté par une crue. La crainte d’épouser un homme
l’empêchant de publier la décide à rester célibataire, malgré la demande en
mariage d’un haut fonctionnaire de la marine, dont elle est la maîtresse. Ses
largesses assurent néanmoins à la mondaine un train de vie bourgeois.
Lettrée, la dramaturge change son
nom en Olympe de Gouges, écrit des pièces, monte une troupe itinérante, jouant
ses œuvres, et connaît quelque
notoriété avec L’esclavage des noirs
inscrit au répertoire de la Comédie française, le 30 juin 1785, sous le titre
de Zamore et Mirza ou L’heureux naufrage. Mais suite à un
litige avec les comédiens, la belle est embastillée, sa pièce est retirée du
répertoire et elle ne doit sa libération qu’à l’intervention de ses
protecteurs. A la veille de la Révolution, la femme de quarante ans a publié,
entre autres, des textes abolitionnistes et deux brochures politiques. Comme Christine de Pizan avant elle,
Olympe propose un projet d’impôt patriotique dans sa Lettre au Peuple ou projet
d’une caisse patriotique, par une citoyenne.
En réponse, à la publication de
la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen, l’écrivaine rédige La
déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, dédiée à la Reine,
et s’engage dans les débats acharnés autour du suffrage des femmes. Elle
s’écrie, la femme a le droit de monter à
l’échafaud, elle a le droit à la tribune. Réformatrice de la société, elle
propose l’autorisation du divorce, la suppression du mariage religieux, la mise
en place d’un contrat civil qui prendrait en compte les enfants illégitimes,
théorise un système de protection maternelle et infantile, demande la création
de maternités, d’ateliers nationaux, un demi-siècle avant la révolution de
février 1848, et de foyers pour les mendiants. Par sa pugnacité constante, la femme
politique obtient que ses semblables puissent assister aux cérémonies
patriotiques.
Installée dans le village
d’Auteuil, en relation avec Condorcet, elle rejoint les Girondins et fréquente
le marquis de Villette, farouche défenseur de l’entrée de Voltaire au Panthéon
et Secrétaire général de la Commune de Paris. L’ensemble du groupe s’oppose à
la mort de Louis XVI. Quelques mois plus tôt, Olympe est des rares avec le
marquis de la Villette à condamner publiquement les massacres de septembre.
Mettant un point d’honneur à s’attaquer aux hommes les plus puissants du
moment, dont Marat et Robespierre, elle dénonce, en pleine tourmente,
l’arrestation des Girondins comme une remise en question de la démocratie.
Arrêtée le 20 juillet 1793, elle est envoyée à la Petite force avant d’obtenir
son transfert à la Santé, où elle entretient une liaison avec un prisonnier,
dans l’espoir de tomber enceinte afin de gagner du temps. Traduite devant le
tribunal révolutionnaire le lendemain de la Toussaint, privée d’avocat, elle se
défend bien et se déclare enceinte. Son fils, pour sauver sa vie, témoigne à
charge et la renie au motif de l’indécence de sa conduite politique. Déclarée
folle, elle est condamnée par Fouquet. Les Girondins, jugés entre les 24 et 30
octobre 1793, sont morts depuis quatre jours, quand le 3 novembre 1793, cinq
jours avant Manon Roland, Olympe meurt à quarante-cinq ans, montant dignement à
l’échafaud. Face aux tricoteuses et à la foule hurlante, elle aurait
déclaré : Enfants de la patrie vous
vengerez ma mort. Honorons sa vie.
Femme réveille-toi ;
le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais
tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés,
de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a
dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation.
Manon Roland monte sur l’échafaud cinq jours
après Olympe de Gouge dont elle est la cadette de six ans. Née Jeanne Marie
Philipon, en 1754, elle est fille d’un maître graveur parisien. Seule
survivante d’une fratrie de sept enfants, Manon est très pieuse, intelligente, ferme, résolue, vive et enthousiaste. Ayant
appris le latin avec l’un de ses oncles, elle se prend de passion, à huit ans,
pour la Vie des hommes illustres de
Plutarque ainsi que pour Bossuet, Montesquieu et Voltaire. Mise au couvent à
onze ans, elle abandonne l’idée de la clôture, qui lui était venue pour se
consacrer à l’étude et au ménage de son père. Lors d’un séjour à Versailles, en
1774, elle rencontre Jean-Marie Roland de la Platière, économiste d’Amiens, qui
la demande en mariage. Elle y consent six ans plus tard et met au monde peu
après sa fille, Eudora. La botanique entre dans sa vie, Manon herborise le long
des canaux, collectant pour l’ouvrage de son époux, L’art du tourbier, ce qui ne la préserve pas de l’ennui. Résolue,
ne pouvant faire carrière par elle-même, la jeune femme prend en main la vie
professionnelle de son mari, menant son ménage à Lyon, en Angleterre et en
Suisse. J’ai quelques fois envie de
prendre une culotte, un chapeau, pour avoir la liberté de chercher et de voir
le beau de tous les talents.
La Révolution est l’opportunité
qu’elle attendait. De retour à Paris, Manon tient, à partir de 1791, un salon
exclusivement masculin, lieu de rendez-vous des Girondins dont elle est
l’égérie. Jean-Marie, grâce aux relations de son épouse, est nommé ministre de
l’intérieur, en mars 1792. Femme politique, elle n’hésite pas à rédiger, entre
autres, les lettres demandant au roi de revenir sur son véto. Démis de ses
fonctions en juin, le ministre est de retour à son poste après le 10 août. Si
les massacres de septembre lui répugnent, contrairement à Olympe, elle n’en dit
rien, mais elle n’hésite pas à s’en prendre à Danton. Son mari démissionne deux
jours après l’exécution de Louis XVI. En mai, les Girondins tombent, son mari
fuit, Manon reste à Paris, où elle est arrêtée. La jeune femme passe cinq mois
à la Conciergerie.
La prisonnière refuse
l’opportunité de fuir qui lui est faite par l’une de ses amies et écrit depuis
sa cellule, L’Appel à l’impartiale
postérité, mémoires destinées à sa fille. Son procès a lieu le matin du 8
novembre à 9h. A 14h30, elle est condamnée à mort et exécutée le soir même.
Passant devant statue de la Liberté, proche de son lieu d’exécution, elle
aurait dit : O liberté comme on
t’a jouée. Son compagnon d’infortune ayant perdu toute dignité dans la
charrette les menant au supplice, Manon lui laisse la préséance afin de lui
épargner la vue du fonctionnement de la guillotine. La Montalbanaise est
décollée à trente-neuf ans. Le Moniteur
fait son épitaphe. Le désir d’être
savante la conduisit à l’oubli des vertus de son sexe, et cet oubli, toujours
dangereux, finit par la faire périr sur l’échafaud. Qu’on se le dise, la
femme politique en sortant de son statut perd la tête, il est donc normal que
le tribunal de la Nation la lui ôte.
Sophie Germain, femme de science et
philosophe, a l’âge d’être la fille
d’Olympe de Gouges. Il faut en faire
l’aveu pénible, tandis que tant de femmes ont trouvé la célébrité dans des
écrits frivoles, la seule femme qui ait réussi dans les travaux sévères,
estimée des géomètres, auxquels d’ailleurs tout un aspect de son génie échappe,
est à peine connue du public.
Née l’année de la proclamation d’indépendance
des Etats-Unis, en 1776, la facétieuse enfant paraît un 1er avril.
Issue de la haute bourgeoisie parisienne, son père est député du Tiers-Etat aux
Etats Généraux et à la Constituante. A treize ans, Sophie, la bien prénommée, a
la révélation des mathématiques au cœur des événements de 1789. Cinq ans plus
tard, elle se procure, par la ruse, les cours de la toute nouvelle Ecole
polytechnique dont les femmes sont exclues comme de l’ensemble du système
scolaire mis en place par la Révolution et l’Empire. La jeune mathématicienne
usurpe l’identité d’un ancien polytechnicien et démontre lors d’échanges avec
Lagrange le théorème qui porte son nom. Ce n’est qu’en 1972, près de cent
cinquante ans après la mort de Sophie, que les premières femmes sont admises à
concourir à l’Ecole polytechnique. En faisant le choix de la science, Sophie
fait celui du célibat, vivant toute son existence à la charge de sa famille.
En 1806, alors que la Prusse est
envahie, la jeune trentenaire demande à Pernety de protéger son ami
mathématicien Carl F. Gauss qui apprend alors que son correspondant le plus
brillant est une femme. Le goût pour les
sciences abstraites en général et surtout pour les mystères des nombres est
fort rare. Mais lorsqu’une personne de ce sexe, qui par nos mœurs et nos
préjugés, doit rencontrer infiniment plus d’obstacles que les hommes à se familiariser
avec ces recherches épineuses, sait néanmoins franchir ces entraves et pénétrer
ce qu’elles ont de plus caché, il faut sans doute, qu’elle ait le plus noble
courage, des talents tout à fait extraordinaires et le génie supérieur.
En 1811, Sophie se présente à l’Académie
des sciences et réussit son entrée à sa troisième tentative, en travaillant sur
les surfaces élastiques, sujet qui ne trouve de développement qu’un demi-siècle
plus tard. Première femme à assister aux séances de l’Institut comme l’un de
ses membres, son aura est importante à l’étranger. Ainsi, sur proposition de
son ami Carl F. Gauss, l’Université de Gottingen lui décerne un prix, la mathématicienne
décède d’un cancer du sein, à cinquante-cinq ans avant, de le recevoir.
Le temps ne conserve que les ouvrages qui se défendent contre lui.
Interdites de sphère politique et
publique, la sphère de l’étude leur est de fait prohibée. Le conventionnel
Aymar met en place le fond de commerce éculé du discours misogyne pendant un
siècle et demi. Car les
femmes sont disposées, par leur organisation, à une exaltation qui serait
funeste dans les affaires publiques. L’esprit féminin étant ébranlé par les oscillations de
l’utérus, l’ablation du dit organe a chez les plus revendicatives un effet
apaisant radical.
Les droits politiques du citoyen sont de discuter
et de faire prendre des résolutions relatives à l'intérêt de l'État par des
délibérations comparées et de résister à l'oppression. Les femmes ont-elles la
force morale et physique qu'exige l'exercice de l'un et de l'autre de ces
droits ? L'opinion universelle repousse cette idée.
Voulez-vous que dans la République
française, on les voit venir au barreau, à la tribune, aux assemblées
politiques comme les hommes, abandonnant et la retenue source de toutes les
vertus de ce sexe, et le soin de leur famille ?
L’accès à la culture, à
l’éducation, à la sphère publique et politique sont les combats républicains où
se distinguent nombre de Panthéonistas dès l’aube du XIXe siècle.
Eugénie
Niboyet - Flora Tristan - George Sand - Jeanne Deroin
Chapitre
deuxième
En
quête d’émancipation
En cette fin du XVIIIe siècle,
l’éducation, hors du cloître et des précepteurs, est inaccessible à la plus
part des femmes. Laisser une trace leur est difficile, quant à accéder à des
fonctions remarquables la question est incongrue. Les arts seuls permettent à
certaines de s’illustrer, elles sont poétesses, écrivaines, comédiennes et
parfois artistes peintres, quand les révolutions de 1848 sont de nouveau
porteuses d’espoirs laissés inassouvis par la Révolution française.
Eugénie Niboyet Mouchon, en âge d’être la fille de
Sophie Germain, naît trois ans après la mort d’Olympe de Gouges, à la fin de
l’été 1796, dans une famille lettrée genevoise ; son grand-père, Pierre
Mouchon, pasteur, est l’un des contributeurs de l’Encyclopédie. Son père venu faire des études de médecine à
Montpellier, épouse la fille d’un pasteur du Gard. Proche de la Révolution, il
doit néanmoins se réfugier dans les Cévennes pour éviter l’échafaud aux moments
les plus sombres. Son retour est fêté par la naissance d’Eugénie. La famille
fait le choix du bonapartisme, à la Restauration, la jeune fille, âgée de
dix-neuf ans, passe nombres d’années à faire des visites à ses proches
emprisonnés. Sept ans plus tard, elle épouse Paul Louis Niboyet avocat de
trente ans, fils d’un noble d’Empire. Installés à Mâcon, ils n’ont qu’un fils
Jean Alexandre, né en 1825. Eugénie monte à Paris peu après George Sand et,
comme elle, gagne sa vie par l’écriture, en remportant l’un des concours de la
Société de la morale Chrétienne, au thème
Des aveugles et de leur éducation. Ses combats sont ceux de la réforme des
prisons, de l’amélioration de l’éducation et de l’abolition de l’esclavage.
Saint-Simon la charge de la prédication auprès des ouvriers afin de leur
apporter secours et instruction. En 1832, à trente-six ans, Eugénie participe
au premier journal féministe totalement fait par femmes, La femme Libre créée par Marie-Reine Guindorf et Désirée Véret.
Toutes se rapprochent du fouriérisme. Quatre ans plus tard, elle fonde un club
hebdomadaire, La Gazette des Femmes,
où se croisent les grands noms de la plume féminine et féministe du temps dont
Flora Tristan.
A cinquante-deux ans, Eugénie
voit la révolution de 1848 arriver avec de grands espoirs. Quelques jours après
la fin de l’insurrection de février, elle fonde La voix des femmes, journal
socialiste et politique, organe d’intérêts pour toutes les femmes.
Reprenant le modèle du club de La Gazette
de femmes, le journal réunit entre autres Jeanne Deroin, Désirée Gay et
Elisa Lemonnier.
Le premier numéro, daté du 21
mars 1848, annonce :
Une grande révolution
vient de s’accomplir. Cataclysme moral d’idées plus rapides que l’onde.
Pourquoi donc, à son tour, la femme ne mêlerait-elle pas sa voix à ce Te Deum
général, elle qui donne des citoyens à l’État, des chefs à la famille ? La
Liberté, l’Égalite, la Fraternité appellent le genre humain aux mêmes
prérogatives ; honneur à cette trinité sainte qui accordera aux femmes des
droits de citoyenneté, leur permettant de s’élever intellectuellement et
moralement à l’égal des hommes. Que toutes les femmes se le disent, et
s’unissent pour s’éclairer, se fortifier, s’améliorer. Il n’est plus permis aux
hommes de dire : « L’humanité, c’est nous. » Comment donc, sous
peine d’inconséquence, un gouvernement libre pourrait-il laisser en dehors de
ses prévisions la moitié numérique de l’humanité, frappée jusqu’à ce jour
d’interdit par l’injustice et la force brutale ?
Le journal que nous
fondons prend au sérieux sa mission ; rien d’impur, d’immoral, ne saurait
donc y trouver place. Le titre que nous prenons aujourd’hui ne doit étonner
personne : c’est une place honorable et libre que nous voulons occuper.
Le club poursuit son activité
proposant d’importantes réformes domestiques et politiques, l’extension du
droit de vote aux femmes et crée le scandale en inscrivant George Sand, à son
insu, aux élections législatives du 6 avril. L’intéressée désavoue et juge
durement le journal. Le Gouvernement provisoire profite de l’incident pour
statuer sur la dissolution des clubs de femmes. Le 20 juin à la veille d’une
nouvelle insurrection, Eugénie cesse la publication de la Voix des femmes et se retire de la vie publique après la répression de 1848. Résidant en Suisse, elle fait un
passage parisien en 1863, âgée de soixante-sept ans, et en profite pour publier
Le vrai livre des femmes. Quinze ans
plus tard, le congrès féministe de Paris lui rend hommage, la vieille dame a
quatre-vingt-deux ans et survit fort modestement de traductions de Dickens,
elle s’éteint l’année suivante. Sa dernière prise de position politique, une
décennie plus tôt, était une lettre ouverte pour la défense des Communards.
Flora Tristan y Moscovo, la Paria, naît à Paris, au printemps en 1803, dix ans après la
Terreur et l’exécution d’Olympe de Gouges, le Consulat vit sa dernière année.
Fille d’un noble péruvien, colonel des dragons du roi d’Espagne et
d’Anne-Pierre Laisnay, issue de la petite bourgeoisie parisienne, de vingt ans
sa cadette, émigrée en Espagne pendant la Révolution, Flora ne peut prouver
qu’elle est une enfant légitime et joue elle-même de cette ambiguïté, laissant
entendre qu’elle pourrait être la fille de Simon Bolivar ou tout du moins une
descendante de Moctezuma II. La question de son ascendance est un thème
récurrent de son œuvre autobiographique. Du vivant de son père, la famille vit
aisément, mais Flora est orpheline à quatre ans. Son éducation est limitée aux
rudiments de lecture, écriture et calculs, quand l’oncle qui, plus tard, la
renie, lui paie des leçons de dessins dans l'atelier d'André Chazal, peintre
graveur, qu’elle épouse à dix-sept ans. Installée, Flora découvre Rousseau,
Lamartine et Madame de Staël. Cette naissance intellectuelle s’accompagne de la
venue au monde de deux fils. Enceinte pour la troisième fois en quatre ans, à
vingt-et-un ans, battue et ne pouvant divorcer, la jeune femme fuit, parcourt l’Europe,
laissant Aline, son dernier enfant, à une connaissance, et s’embarque vers le
Pérou, sous son nom de jeune fille car une femme mariée ne peut se déplacer
sans son époux ou son accord écrit. Parvenue à bon port, elle ne reçoit que le
cinquième de son héritage, celui attribué aux enfants bâtards, acquérant son
indépendance financière au prix de son honneur. Errante et toujours fugitive,
elle promet de se consacrer à la défense des droits des femmes et des victimes de
la société.
De son périple péruvien, elle
tire un livre publié à Paris en 1837, Pérégrinations
d'une paria, qui lui ouvre, à trente-quatre ans, les cercles littéraires et
socialistes, et lui permet de produire une brochure d'inspiration utopique, Nécessité de faire un bon accueil aux femmes
étrangères. Militant toujours pour l'indépendance des femmes, le divorce et
contre la peine de mort, elle contribue à quelques revues. Quand le jugement de
séparation d’avec son époux est enfin prononcé, en 1838, l’outragé tire sur
elle, lui perforant un poumon. Le scandale crée une publicité inattendue et son
agresseur est condamné à vingt ans de travaux forcés lui assurant une liberté
définitive. Partie en Angleterre, elle écrit, en mai 1840, Promenades à Londres, ainsi qu’une brochure, L'union ouvrière, destinée aux travailleurs des ateliers. Déjà très
affaiblie en 1843, elle entame un tour de France afin de diffuser ses idées et
d’aller à la rencontre des plus misérables. Epuisée, elle meurt de la typhoïde peu
après à Bordeaux, à quarante-et-un ans, chez Elisa Lemonnier. Son petit-fils,
Paul Gauguin, né en 1848, peu avant la révolution de juillet ne la rencontre
jamais.
George Sand a la critique acerbe à l’égard de Flora Tristan. Aurore Dupin Baronne Dudevant naît un an après la Paria, à l’été 1804, six mois avant le sacre de Napoléon, la Iere République vit ses derniers mois. Arrière petite-fille du maréchal de Saxe et petite fille d’un oiseleur, Aurore se plaît à dire qu’elle est une métisse sociale. Or, si mon père était l'arrière-petit-fils d'Auguste II, roi de Pologne, et si, de ce côté, je me trouve d'une manière illégitime, mais fort réelle, proche parente de Charles X et de Louis XVIII, il n'en est pas moins vrai que je tiens au peuple par le sang, d'une manière tout aussi intime et directe ; de plus, il n'y a point de bâtardise de ce côté-là. Sa grand-mère paternelle qui a tenté d’empêcher cette mésalliance, chasse sa belle-fille à la mort de son fils Aurore, à quatre ans, reste à la garde de son aïeule. En 1821, pour échapper à sa mère, Aurore se marie à dix-sept ans, avec le Baron Casimir Dudevant. Ma nuit de noces a été un viol. A dix-neuf ans, elle a un fils, s’ennuie, marivaude et finit par tromper son mari. A la naissance de sa fille, la jeune femme décide de monter à Paris pour faire une carrière de journaliste, romancière et dramaturge, adoptant un nom masculin à cette fin et peu après le costume assorti lui permettant de se déplacer sans encombre ; chapeau gris, grosse cravate et cigare. La jeune femme démultiplie les liaisons et les scandales. Dès 1830, de bonapartiste par piété filiale, elle passe républicaine, pour se revendiquer plus tard socialiste.
A vingt-neuf ans, George publie Lélia, roman poétique, qui plaide pour
le droit féminin au plaisir et à la passion, quand commence sa liaison houleuse
avec Alfred de Musset. Ayant obtenu la séparation de son mari pour mauvais
traitements, deux ans avant Flora Tristan, elle peut ainsi récupérer ses biens
qui étaient aux mains de son époux, une femme mariée ne pouvant gérer son
propre patrimoine. Elle écrit en 1837, sa profession de foi. J’en fais le serment et voici la première
lueur de courage et d’ambition dans ma vie, je relèverai la femme de son
abjection et dans ma personne et dans mes écrits – Dieu m’aidera. Combattant
toute sa vie pour le droit au divorce, sa réserve est grande quant aux
activités politiques des femmes, qui selon elle sont une erreur.
Lorsque la Révolution de 1848,
elle rejoint précipitamment Paris, s’enthousiasmant pour les journées de
février. A quarante-quatre ans, elle aide Ledru-Rollin, participe au lancement
de trois journaux, La Cause du peuple,
le Bulletin de la république, et L’Eclaireur. Après la répression de
l’insurrection de juin, elle plaide la cause des condamnés, demandant une
amnistie générale. Comme Eugénie Niboyet, après le coup d’Etat de Louis
Napoléon Bonaparte, George s’éloigne de Paris et de la vie publique, éditant
peu après, depuis son domaine de Nohant, à la cinquantaine, l’Histoire de ma vie. Mais si elle prend
la plume en 1871, contrairement à Eugénie Niboyet, c’est pour condamner
durement la Commune.
En 1860, l’impératrice avait
proposé qu’elle soit élue à l’Académie française, offre qu’elle décline. Adorée
de Flaubert, détestée de Baudelaire. L’auteure laisse, à sa mort à l’âge de
soixante-douze ans, en 1876, cinquante volumes de son œuvre. La IIIème
république est proclamée depuis six ans.
Jeanne Deroin est la cadette d’un an de George
Sand. Née le dernier jour de l’année 1805, elle est en toute illégalité la
première candidate aux élections législatives de 1849, après avoir impliquée
George Sand dans celles de 1848.
Jeanne est l’une des plus
modestes des Panthéonistas, à l’image de l’avancée des idées et des
revendications des femmes qui touchent toutes les couches de la société. Simple
ouvrière lingère, autodidacte, elle fait partie de la lie de la population
lavant en Seine le linge sale des Parisiens. Cherchant à s’élever et surtout à
éduquer ses semblables, elle passe le brevet d’institutrice et rédige à
vingt-six ans, un texte contre l’Assujettissement
de la femme. Ayant gagné les rangs des socialistes utopiques, elle se marie
à Antoine Desroches, dont elle refuse de prendre le nom, la cérémonie civile
institue l’égalité des époux et non la fidélité et l’obéissance de l’épouse
selon le code napoléonien. Trois enfants naissent, ce qui n’entrave pas la
création de son Club de l’émancipation
des femmes. En 1832, elle contribue à La
femme libre premier journal féministe, précurseur de La Fronde de Marguerite Durant. Dans une période d’agitation
révolutionnaire européenne constante, alors que George Sand est submergée par
sa passion pour Musset, la jeune mère de famille, sous le pseudonyme de Jeanne-Victoire,
très inspirée par Condorcet, lance un Appel
aux femmes en première page de son journal.
Lorsque tous les peuples s'agitent au nom de Liberté, et que le
prolétaire réclame son affranchissement, nous, femmes, resterons-nous passives
devant ce grand mouvement d'émancipation sociale qui s'opère sous nos
yeux ? Notre sort est-il tellement heureux, que nous n'ayons rien aussi à
réclamer ? La femme, jusqu'à présent, a été exploitée, tyrannisée. Cette
tyrannie, cette exploitation, doivent cesser. Nous naissons libres comme
l'homme, et la moitié du genre humain ne peut être, sans injustice, asservie à
l'autre. Refusons pour époux tout homme qui n'est pas assez généreux pour
consentir à partager son pouvoir ; nous ne voulons plus de cette formule,
« Femme, soyez soumise à votre mari ! » Nous voulons le mariage
selon l'égalité. Plutôt le célibat que l'esclavage !
A quarante-deux ans, en juin
1848, elle fonde avec Désirée Gay, La
politique pour les femmes, journal publié par une société d’éducation
mutuelle féminine, et édite pour sa campagne en mai 1849, Campagne électorale de la citoyenne Jeanne Deroin, en lançant sa Pétition des femmes au peuple. Jeanne a bien peu de
soutiens, même dans son camp. George Sand la juge déplacée, ironie du sort
c’est ainsi qu’on la désignait elle-même quinze ans plus tôt. Proudhon ne voit
en elle qu’une excentrique. En 1851, elle est emprisonnée pour idées
subversives. Après le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte, elle s’exile
à Londres, ouvre une école pour les enfants des réfugiés politiques, travaille
aux côtés des socialistes et publie un Almanach
des femmes. Elle meurt outre-Manche dans la pauvreté à quatre-vingt-dix ans
après quarante-trois ans d’exil.
La répression des révolutions de
1848, et la remise en vigueur de la Censure, confine les femmes au silence
pendant près d’une génération, mais Jeanne a ouvert la voie à celles qui sont
en âge d’être ses petites-filles, Hubertine Auclert et Marguerite Durand.
Avec George Sand, Eugénie
Niboyet, Jeanne Deroin mais aussi Elisa Lemonnier, Marie-Reine Guindorf,
Jeanne-Désirée Véret et Désirée Gay, se dresse une génération de Panthéonistas
qui tout en se préoccupant d’équité sociale, de l’abolition de l’esclavage et
de la peine de mort, tente l’émancipation féminine par le droit à l’éducation,
ainsi qu’à l’égalité en droit et porte en germe la question de la maîtrise de
leur corps par les femmes.
Marguerite
Boucicaut - Jean-Baptiste Millière
Rachel
- Julie-Victoire Daubié - Maria Deraismes Louise Michel
Chapitre
troisième
Dignité
– Egalité – Révolution
En 1815, six mois après la
débâcle de Waterloo, Marguerite Guérin-Boucicaut naît à Verjux. Sa mère, âgée de vingt-neuf ans, est gardienne d’oies, illettrée
et fille-mère. A quinze ans, Marguerite, jeune orpheline arrive à Paris à la
veille de la Révolution de juillet, comme George Sand. Loin des salons bohèmes,
elle est apprentie blanchisseuse dans le quartier insalubre de la rue du bac,
collègue d’outre-Seine de Jeanne Deroin. Peu après, elle apprend à lire, écrire
et crée son propre bouillon. Cinq ans plus tard, elle rencontre Aristide
Boucicaut, jeune normand, qu’elle ne peut épouser car la famille de l’élu
refuse cette mésalliance. Les jeunes amants vivent en concubinage, ont un fils
et se marient en 1849, douze ans après leur rencontre. Marguerite a trente-deux
ans. Grande, très forte assez vite, son visage respire la bonté.
En 1845, après une période de
chômage, Aristide est embauché par les frères Videaux qui viennent de fonder
une mercerie, Le Bon marché. Passé
associé, le Normand en fait, l’année de son mariage, un vaste magasin devant
être un lieu de tentation pour les femmes. En 1869, devenu l’unique
propriétaire, le couple qui a connu une ascension fulgurante, à près de
cinquante ans, plutôt que de vivre de ses rentes, commande à Gustave Eiffel, de
nouveaux bâtiments, Marguerite en pose la première pierre. Un an plus tard la
Guerre franco-prussienne, le Siège de Paris et la Commune interrompent les
travaux qui reprennent par tranches jusqu’en 1887. Imprégnée du socialisme
chrétien de Lamennais, la directrice ne compte oublier ni ses employés, ni ses
origines. Aristide meurt soudain, à soixante-sept ans, en 1877, laissant à
Marguerite et son fils la charge du Bon
marché. Deux ans plus tard, la tuberculose emporte son enfant, Marguerite,
seule et sans descendant, est à la tête d’une immense fortune et d’une
entreprise de plusieurs milliers d’employés. Femme d’action, elle change les
statuts, associant le personnel d’encadrement au capital du magasin, réservant
des actions à ses employés, créant un hôpital à leur intention ainsi que des
soins et des logements pour les filles mères ; Marguerite a
soixante-quatre ans. Soucieuse de son village natal, elle le dote d’une école,
d’une nouvelle mairie, d’une salle d’asile, de nouvelles cloches pour l’église
et d’un pont impérial sur la Saône. La vieille dame meurt à Cannes à
quatre-vingt-un ans.
Lorsque son corps est ramené à
Paris, au beau milieu du mois de décembre, une foule immense attend son arrivée
et, bien qu’elles n’aient rien d’officiel, ses funérailles sont suivies par des
milliers de personnes.
La vieille dame a fait de
l’Assistance publique sa légataire universelle, à la condition qu’un hôpital
soit construit sur la rive gauche et que l’institution prenne soin de sa tombe
qui est aussi celle de son époux et de son fils. En léguant tout ce qui reste de ma fortune à l’Administration la plus
puissante pour assister les malheureux, mon unique pensée a été de venir aussi
utilement que possible au secours des souffrants et des misérables. L’hôpital
modèle, construit entre 1894-1897, est composé de huit pavillons entourés de
jardins, intégrant le tout à l’égout, le chauffage, l’isolation et la
ventilation naturelle, s’inspirant des règles d’hygiène de Pasteur préconisant
la séparation des malades pour éviter la contagion.
Marguerite lègue aussi plus de
cent millions à ses employés, ainsi que 600 000 francs pour leur maison de
retraite de Fontenay-aux-Roses. 600 000 autres sont affectés au centre
nourricier de Bellème pays natal d’Aristide et 2,6 millions sont offerts pour
la prise en charge des filles mères de Lille, Rouen et Chalon dans des maisons faites pour recevoir, au moment de leurs couches, les femmes non mariées qui
auront eu pour la première fois, le malheur d’être séduites. Le don de 250
000 francs, fait de son vivant à l’Institut Pasteur, est augmenté de 100 000
après sa mort quand 300 000 francs échoient à l’Archevêché de Paris, 100 000
aux Eglises réformés et 100 000 au Grand rabbin de France. Enfin, les tableaux
réunis par le couple entrent dans les collections nationales.
Jean-Baptiste Millières est un pays de Marguerite Boucicaut, né deux ans après elle. Il part de peu,
quand elle sort du néant. Martyr oublié du Panthéon, il naît en 1817, dans une
famille de tonnelier qui l’installe comme apprenti derrière les soufflets de la
forge dès son plus jeune âge. Autodidacte, il obtient le baccalauréat, suit les
cours de la faculté de droit de Dijon et soutient une thèse de droit. En 1848,
il est secrétaire du Club de la
révolution dont Barbès est le président. Jean Baptiste a trente-et-un ans.
Installé à Clermont en 1849, il publie L’éclaireur
républicain, dont le tirage est interdit après un mois de vente. Au même
moment Jeanne Deroin se présente aux législatives à Paris. L’un des chevaux de
bataille de Jean-Baptiste est la mise en place d’un système d’instruction
gratuite. En 1850, il fonde Le Prolétaire,
journal du paysan et de l’ouvrier,
dont il est le rédacteur et le directeur. Le ton est celui d’un socialisme très
anticlérical, défenseur du prolétariat, attaquant les modérés et la société du
temps. Il tente d’organiser des associations ouvrières et propose d’ouvrir un
cour gratuit de droit constitutionnel, la mairie de Clermont s’y oppose, deux
de ses collaborateurs passent aux assises, lui est poursuivit pour excitation à
la haine.
En 1851, le journaliste prend une
part active, à Paris, aux tentatives de résistance au coup d’Etat de Louis
Napoléon Bonaparte. Jeanne Deroin et Victor Hugo partent en exil quand
Millières est condamné à la déportation en Algérie. A son retour, après
l’armistice de 1859, il est âgé de quarante-deux ans. Installé à Paris, très
surveillé par la police impériale, il épouse Louise Fourès, directrice d’école,
fille d’un cordonnier, de dix-sept ans sa cadette, et officie en tant que chef
du contentieux d’une importante compagnie d’assurance, Le Soleil. Très apprécié pour ses capacités, il est néanmoins
congédié, en 1868, pour ses opinions.
Jean-Baptiste reprend la lutte
politique en 1869, il a cinquante-deux ans, réclamant une république complétée
par le socialisme. Durant le Siège de Paris, il accepte son élection comme chef
du 208e bataillon et le XXe arrondissement le désigne conseiller
municipal en novembre. Le département l’envoie siéger en tant qu’élu à
Bordeaux, assis à l’extrême gauche, il s’oppose aux préliminaires de paix.
Après le début de la Commune, à laquelle il est favorable, il continue de
siéger à Versailles, tentant vainement de jouer les conciliateurs. Resté dans
la capitale prise d’assaut par les Versaillais, ne siégeant plus à l’assemblée,
il ne participe pas pour autant aux barricades. Les partisans de la Commune
s’emparent du Panthéon. Un drapeau rouge flotte sur son lanternon, les
barricades dressées autour du bâtiment brisent deux jours durant les assauts
versaillais dont le poste de commandement est établi dans le jardin du
Luxembourg. Jean Baptiste caché chez son beau-père, tout à côté, rue d’Ulm, est
mené de force devant le commandant des troupes après le recul vers le faubourg
Saint-Antoine des Communards, le titre de député lui est dénié et ordre est donné
de le fusiller, sans jugement sur les marches du Panthéon. Agenouillé à coup de
crosses, il a le temps de crier, « Vive
l’humanité ! » avant de tomber. Louise, son épouse qui tente de
s’interposer, est arrêtée, traduite en justice et condamnée aux dépens. Elle
poursuit les responsables de l’assassinat de son mari, qui ne se présentent pas
au tribunal, celui-ci se déclare incompétent après deux ans de procédure,
toujours à la charge de la veuve. Les rapports de police eux-mêmes
reconnaissent le caractère absurde de la mort du député, assassiné, à la veille
de ses cinquante-quatre ans, au nom de la République dont il est l’un des
représentants, sous les lettres de bronze clamant, Aux grands hommes la Patrie reconnaissante.
Frêle et fière à la fois, la
pureté de sa diction est d’autant plus étonnante que son fort accent lui
interdisait peu avant les grands rôles. Le succès, si versatile, ne se dément
jamais, tout au long d’une carrière de deux décennies et ne s’éteint pas même
avec sa mort. Talent, ascension, jeunesse, utilisation de la presse et mort
prématurée de consomption, à trente-sept ans, alimentent son aura.
Incandescente de retenue sur scène, elle est l’actrice classique que tous les
romantiques rêvent de voir jouer dans leurs pièces révolutionnaires, au premier
rang desquels Alfred de Musset.
Comme Christine de Pizan, Rachel, Elisabeth Félix, ne naît pas en terre de France. La Suisse, patrie de Rousseau,
et l’auberge du Soleil d’or, l’accueillent le 21 février 1821. Deuxième enfant
d’un colporteur juif et saltimbanque, Rachel passe son enfance misérable en
Alsace, où elle chante dans la rue, récite des poèmes et mendie avec ses sœurs.
Installée à Paris, à seize ans, elle mène une vie de comédienne demi-mondaine
et fait ses débuts. A dix-sept ans, elle entre au Théâtre français, où elle
connaît un succès immédiat dans le rôle de Camille. La recette explose passant
de moins de huit cents francs le premier soir à plus de six mille par soir
quelques semaines plus tard. La musique
des vers vient du cœur. L’exploit est d’autant plus étonnant que durant
cette seule première année parisienne, l’enfant illettrée apprend à lire,
écrire et prononcer le français sans accent, offrant au théâtre classique
ébranlé par la querelle des anciens et des modernes, dont Victor Hugo, Musset
ou Théophile Gauthier sont les fers de lance, de revenir en grâce. En 1843,
Théophile Gautier écrit après le triomphe de Phèdre, Mademoiselle Rachel a fait assez pour les morts illustres. N’est-il pas
triste qu’il n’y ait qu’une seule jeune fille qui sache dire des vers et que
jamais elle n’en ait prononcé un seul de tous ceux que la génération présente
répète et sait par cœur ? Or, Rachel ne dédaigne jamais les
dramaturges contemporains, avant Phèdre,
la comédienne est toute prête à jouer dans la pièce de Lamartine, Toussaint-Louverture, quand son père
apprend que le rôle est celui d’une métisse. Mineure et soumise à la volonté
paternelle, la comédienne est contrainte de le refuser.
Elle a vingt ans quand la très
prude reine Victoria la reçoit en hôte de marque. Deux ans plus tard, Phèdre
d’anthologie, elle rencontre le petit fils de Napoléon, le comte Colonna
Walswski, et lui donne un fils, reconnu l’année où Flora Tristan meurt. Lors de
la Révolution de février 1848, Rachel qui vient de donner deux mois plus tôt
naissance à un second fils, chante La
Marseillaise sur la Place des Vosges
quand son voisin, Victor Hugo, hisse le drapeau tricolore. Contrairement à lui,
sa véritable ferveur républicaine bascule vers le bonapartisme après le coup
d’état de 1851.
Durant toute sa carrière,
l’actrice multiplie les tournées et les photographies-cartes postales qui
assurent sa notoriété et celle de la France, en Belgique, Angleterre, Prusse et
dans l’Empire austro-hongrois. Ce grand tour de 1850, est augmenté quatre ans
plus tard de spectacles à Varsovie, Saint-Pétersbourg et Moscou. Enfin, l’année suivante, Rachel est la première
comédienne française à entreprendre une tournée américaine. Périple dont rêve
une jeune admiratrice de onze ans, Sarah Bernhardt. Morte au Canet, la
tragédienne est ramenée à Paris où une foule immense vient se recueillir place
des Vosges où son corps est exposé, avant que le cortège ne s’ébranle vers le
carré juif du Père Lachaise.
Georges Sand a vingt ans et
Sophie Germain rédige ses Remarques sur
la nature, quand naît, dans les Vosges lointaines, Julie-Victoire Daubié. Huitième enfant d’une famille aussi
nombreuse que celle de Rachel, orpheline de père avant sa deuxième année, elle
vit confortablement, tout en étant le témoin de la misère des ouvriers ruraux,
des domestiques et des mères célibataires. A vingt ans, elle passe son
certificat de capacité d’institutrice, quand à Paris Rachel triomphe dans Phèdre. S’élevant contre le manque de
compétences de nombreuses religieuses dispensant l’enseignement des filles,
elle décide d’étudier le latin et le grec avec son frère, qui est prêtre, tout
en suivant une formation de zoologie auprès de Geoffroy Saint-Hilaire au Muséum
où elle obtient l’autorisation d’entrer en dehors des heures consacrées aux
étudiants. Proche des Saint-simoniens, elle participe au prix de l’Académie des
sciences, des belles lettres et des arts de Lyon en 1859, à trente-cinq ans.
Rachel est morte l’année précédente et Jean-Baptiste Millière de retour de sa
déportation algérienne s’installe à Paris. Elle propose au jury une étude
intitulée, La femme pauvre au XIXe s. Lauréate du premier prix et des huit
cents francs l’accompagnant, enhardie et sachant qu’elle sera bien accueillie
dans l’académie de Lyon, elle s’inscrit en candidate libre au baccalauréat,
dont elle est la première lauréate de France en 1861, à quarante ans. Forte de
ces succès, elle ouvre un bureau d’entrepreneur de broderie blanche, géré par
sa nièce, et s’installe confortablement à Paris, où elle donne des conférences
et produit des articles d’économies tout en préparant une licence de Lettres en
paria des amphithéâtres encore interdits aux femmes.
Julie-Victoire rédige Du progrès de l’enseignement : justice
et liberté et De l’enseignement
secondaire pour les femmes, trois ans plus tard, lors de la seconde
exposition universelle de Paris, elle reçoit une médaille pour l’ensemble de
son œuvre, deux ans avant que sa cadette, Maria Deraismes ne fonde la bien plus
dérangeante Société pour la revendication
des droits civils des femmes, tandis que Louise Michel se débat pour faire
survivre l’école primaire qu’elle a créée sur la butte Montmartre en 1865.
Un mois après la proclamation de
la IIIe République, elle fait partie de la Commission
de dames pour examiner les questions relatives à l’enseignement primaire. L’année
suivante elle obtient sa licence, à l’âge de quarante-huit ans et se lance dans
une thèse laissée inachevée par sa mort en 1874, Louise Michel a été déportée
depuis un an en Nouvelle Calédonie.
Julie-Victoire bénéficie d’un
soutien social certain, sans pour autant déroger à sa lutte permanente pour
l’accès des femmes à l’enseignement, à une formation professionnelle efficace
et au suffrage. L’enseignement secondaire féminin public est créé en 1881, sept
ans après sa mort, l’accès à un même programme et au baccalauréat pour tous les
candidats quel que soit leur sexe est chose faite en 1924, un demi siècle après
sa disparition. Les Françaises accèdent aux urnes pour la première fois
soixante-dix ans après sa mort.
La Parisienne Maria Deraisme naît en 1828, au cœur de l’été, dans une famille bourgeoise, voltairienne et
très anticléricale, au moment où la Restauration est la plus ultra. Ses parents
la laissent libre de s’éduquer, aussi à vingt ans est-elle érudite, un brin
idéaliste pensant que la société peut être construite sur la liberté et la
quête d’égalité. Pour elle, les changements se font pas à pas et non par la
révolution. Comme Julie-Victoire, elle envisage l’éducation comme seul principe
de l’émancipation féminine. Son père décède quand elle a vingt-quatre ans, les
révolutions de 1848 ont eu lieu quatre ans auparavant, sans qu’elle ne s’en
inquiète. Malgré ce décès, sa vie confortable de rentière studieuse se poursuit
sans encombre. Peu après, la mort de sa mère la conforte dans son statut de
femme indépendante financièrement. Si elle souhaite le rester, le célibat est
une condition sine qua non. Libre,
disposant de moyens et de temps, elle se fait journaliste. En 1866, les
francs-maçons victimes de campagnes de dénigrement décident à l’initiative de
Léon Richer, libre penseur et féministe, de placer cette femme de trente-huit
ans sur le devant de la scène par des conférences. Maria se révèle une oratrice
redoutable en un temps où l’éloquence est un apanage masculin. Le succès est
immédiat, l’exercice est démultiplié sur les thèmes les plus variés toujours
centrés sur le point de vue féminin.
Deux ans plus tard, à la veille
de la Guerre franco-prussienne, l’oratrice fonde avec Léon Richer, Paule Mink
et Louise Michel la Société pour la
revendication des droits civils des femmes, et en 1870 L’Association pour le droit de femmes, qu’elle préside, associant
les combats pour l’émancipation féminine à la laïcité. Durant deux ans, elle
soutient Louise Michel et Elisée Reclus dans leurs initiatives visant à
l’instauration d’une éducation pour les filles. Alors qu’après la Commune,
Louise est jugée et déportée, Maria résolument républicaine, devient une
fervente propagandiste du régime. Ne perdant pas de vue ses objectifs, alors
que Louise vogue vers les côtes calédoniennes, elle fonde avec Hubertine
Auclert la Société pour l’amélioration du
sort de la femme. Maria est une femme âgée de quarante-six ans, Hubertine a
vingt-six ans. Quatre ans plus tard,
la journaliste organise avec Léon Richer le Congrès international du droit des femmes. A soixante-cinq ans, un
an avant sa mort, elle fonde la première loge maçonnique mixte de France, Le Droit Humain, qui se change en l’Ordre maçonnique mixte
international, Le droit humain. Près de trois quarts de siècles avant
Simone de Beauvoir, Maria écrit, l’infériorité
des femmes n’est pas un fait de la nature, nous le répétons, c’est une
invention humaine, c’est une fiction sociale. La franc-maçonne meurt dans
son appartement parisien à soixante-six ans.
Maria Deraismes est morte depuis
un an quand Louise Michel rentre de déportation. Née deux mois avant la révolution de juillet 1830,
Louise est, comme nombre de Panthéonistas, une enfant illégitime. Ses
grands-parents lui donnent une bonne éducation et assez d’argent pour obtenir
son brevet d’institutrice. Elle s’installe à Paris, à vingt-six ans. Brune,
grande avec son 1,64 cm, dépassant la taille moyenne masculine, mince en un
temps où les femmes rondes sont des idéaux de beauté, elle passe pour
disgracieuse. Mais tous s’accordent sur son regard pénétrant, ses yeux
pétillants d’intelligence et respirant la bonté ainsi que sur la douceur de sa
voix. La jeune femme adopte très tôt, les cheveux coupés aux épaules, une
véritable extravagance. Comme George Sand, Rosa Bonheur et Madeleine Pelletier,
Louise aime porter des vêtements d’hommes, surtout pour la liberté qu’ils
procurent. Romantique, idolâtrant Hugo, elle a une fascination morbide pour la mort,
ainsi la dédicace de ses mémoires à Sarah Bernhardt est : Voulez-vous parcourir
l’histoire de ma vie, Sarah, ces feuillets sont des pierres de tombeaux. Sa
bonté est proverbiale. Les chats et
les sciences sont sa passion.
Enseignant à Paris pendant quinze
ans, tout en écrivant des poèmes et désireuse de passer le baccalauréat, comme
Julie Daubié, elle contribue au Cri du
peuple de Jules Vallès. Lors de la proclamation de la République, à
quarante ans, elle est présidente du Comité de vigilance des citoyennes du XVIIIe
arrondissement et rencontre Clémenceau son maire. En janvier 1871, membre de la
garde nationale, Louise fait feu sur l’Hôtel de ville et participe aux
batailles de la Semaine sanglante en tant qu’ambulancière et combattante.
Arrêtée, détenue au camp de Satory, elle assiste à l’exécution de ses amis et
de Ferré dont elle est amoureuse. Lors de son procès, neuf jours avant la Noël,
elle s’adresse à ses juges : Je ne
veux pas me défendre, je ne veux pas être défendue. J'appartiens tout entière à
la révolution sociale et je déclare accepter la responsabilité de mes actes. On
dit aussi que je suis complice de la Commune ! Bien plus, je me fais l'honneur
d'être un des promoteurs de la Commune. Puisqu'il semble que tout cœur qui bat
pour la liberté n'a droit qu'à un peu de plomb, j'en réclame une part, moi ! Si
vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance. Si vous n'êtes pas
des lâches, tuez-moi !
En cette même année, Caroline
Rémy, dite Séverine, est mariée sans son consentement, à seize ans, et à Lyon,
nait la brillante Anna Amieux. Après deux ans de détention Louise est déportée
vers la Nouvelle-Calédonie sous le matricule 2182. Commencent sept années de
captivité. En 1879, elle s’installe à Nouméa et ouvre une école, Louise a
quarante-neuf ans. Amnistiée l’année suivante et de retour en France, elle
participe à de nombreuses manifestations qui la conduisent à de multiples
incarcérations qui lui importent peu, sa seule crainte est l’internement
psychiatrique, mesure de rétention utilisée par l’Etat contre les opposantes
politiques ou les suffragettes françaises dont est victime la docteure
Madeleine Pelletier en 1939.
Farouche abolitionniste de la
peine de mort, l’insurgée, lorsqu’elle est victime d’un attentat en 1888,
refuse de porter plainte contre son agresseur, malgré la balle qui reste dans
son crâne jusqu’à sa mort, dix-sept ans plus tard. Arrêtée de nouveau en 1896
et condamnée à six ans de prison, elle est libérée en 1899 à la demande de
Clémenceau. Cinq ans ont passés quand elle prend froid à son retour d’Algérie,
et meurt d’une pneumonie à soixante-quatorze ans. La vierge rouge, portant le
deuil en étendard, est morte. Séverine et Madeleine Pelletier sont deux des
quatre femmes suivant son corbillard au premier rang, menant un flot de plus de
dix mille personnes. Le récit de ses funérailles passe en page 2 de L’Humanité, éclipsé par le massacre de
janvier 1905 en Russie, Le dimanche rouge
de Saint-Pétersbourg.
Trente-deux ans plus tard, le 11e
bataillon de la XIIIe brigade internationale parti défendre la République
espagnole, composé de Français et de Belges, porte son nom. La deuxième
promotion de l’ENA portant un patronyme féminin, celle de 1984-1986, a celui de
la Passionaria de la Commune. La philosophe Simone Weil l’a précédée de douze
ans, en 2004-2006, Simone Veil lui succède et Marie Curie, peu après. Quatre
femmes pour soixante douze promotions d’énarques des chiffres quasi identiques
à ceux des résidents du Panthéon.
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