Acte
III
Au vote
députés !
Toute ma politique se résume en un mot : ça manque de femmes.
Andrée Viollis
Madeleine
Bres - Sophie Lumina - Sarah
Bernhardt
Hubertine
Auclert - Séverine - Marguerite Durand
Chapitre
premier
A la
conquête des droits
En 1842, l’année du triomphe de
Rachel dans le Cid de Corneille, naît dans le Gard, la petite Madeleine Gebelin, future Madame Brès.
Fille d’un charron, elle a la révélation de la médecine en accompagnant, à huit
ans, son père appelé pour des travaux à l’hôpital de Nîmes. L’année de la mort
de Rachel, à quinze ans, elle est mariée à un conducteur d’omnibus. La famille
Gebelin vit à Paris depuis trois ans déjà. En 1866, elle décide de devenir
médecin, peut-être encouragée par les performances de Julie-Victoire Daubié,
bachelière depuis quatre ans. Agée de vingt-quatre ans et déjà mère de famille,
elle sollicite le doyen de l’Université afin d’officier pour les femmes et les
enfants. Il la renvoie dans son foyer en lui suggérant d’obtenir le
baccalauréat dans un premier temps. Son mari l’autorise à s’inscrire, trois ans
après sa demande et en candidate libre Madeleine est bachelière. Maria
Deraismes vient de fonder la Société pour
la revendication des droits civils avec Louise Michel, Gustave Eiffel
entreprend la construction du nouveau Bon marché. Lorsque la guerre de 1870
éclate, Madeleine, nommée interne à titre provisoire, reste à son poste, y
compris pendant les bombardements de l’hôpital, où elle est affectée, assurant
aussi son service pendant la Commune. Son zèle et ses capacités de médecin sont
loués, à vingt-huit ans, elle est déjà veuve et mère de trois enfants. La paix
revenue l’externat et l’internat lui sont pourtant refusés malgré les
manifestations et les pétitions en sa faveur. La jeune femme parvient malgré
tout, à trente-trois ans, en 1875, à soutenir sa thèse : De la mamelle et de l’allaitement. Elle est la première docteure en médecine française. Grâce au mécénat de
femmes, elle entreprend, en 1880, la construction de la première crèche
inaugurée en 1893, aux Batignolles. L’abrogation de la loi interdisant
l’externat aux femmes est votée l’année de l’inauguration des premiers
établissements d’enseignement secondaire public, Madeleine a quarante ans. Cinq
ans plus tard, cent quatorze femmes sont inscrites à l’université de médecine,
parmi elles douze Françaises, soixante-dix Polonaises et huit Anglaises. Si les
lycées de jeunes filles sont créés depuis cinq ans, passer le baccalauréat
nécessite l’octroi d’une dérogation et de coûteux cours supplémentaires, les
programmes féminins des lycées publics ne devant pas mener aux bancs de la
Sorbonne. A quarante-neuf ans, en 1891, Madeleine est envoyée par le ministre
de l’intérieur en Suisse afin d’étudier des crèches. Cette année là, Marguerite
Durand entre au Figaro et où elle
crée la rubrique courrier. De retour, la docteure Bres dirige le journal Hygiène de la femme et de l’enfant, et
publie des ouvrages de puériculture.
Après la Première guerre mondiale, elle tombe peu à peu dans l’oubli et décède
pauvre et aveugle à plus de soixante-quatorze ans.
Henriette Rosine Bernard,
née en 1844, se forge, en près de quatre-vingt ans, un nom, Sarah Bernhardt, et une devise, Quand même. Fervente admiratrice de
Rachel, qui meurt l’année de ses onze ans, elle veut vivre à son image et
rendre les scènes incandescentes. Sarah dépasse son modèle en dirigeant son
propre théâtre. Fille d’une courtisane juive hollandaise, inscrite au couvent
des Grands-champs à Versailles, elle vit une crise mystique, se fait baptiser,
et envisage d’entrer en religion. A quatorze ans, trois ans après la mort de
son idole, Sarah est reçue au Conservatoire. A dix-neuf ans, elle entre à la
Comédie-Française et en est renvoyée sept ans plus tard pour avoir giflé une
sociétaire. A la veille de la guerre de 1870, la rousse Sarah est repérée à
l’Odéon. L’année suivante, lors du siège de Paris, alors que Madeleine Bres
officie en tant qu’interne provisoire, l’actrice change l’Odéon en hôpital de
fortune, où officiant en tant qu’infirmière, elle dispense des soins au futur
général Foch, qu’elle retrouve quarante-cinq ans plus tard dans sa tournée aux
armées sur le front.
Actrice et
demi-mondaine, les hommes font sa fortune. Après la guerre de 1870, Hugo, de
retour d’un exil de vingt ans, rencontre la
Lionne qui a vingt-sept ans. En retour, le poète l’aide à maîtriser son
jeu. Le succès est quasi immédiat, alimenté par une solide campagne médiatique.
Sarah joue quatre pièces en 1871 et se fait une réputation de réparties
assassines qu’elle agrémente de quelques axiomes. Il faut haïr très peu, car c'est très fatiguant, il faut mépriser beaucoup,
pardonner souvent, mais ne jamais oublier. L’année suivante, elle triomphe
dans le rôle de la reine dans Ruy Blas
de son mentor, la Comédie française la rappelle six ans après son renvoi. Jouant
Racine et Hugo, elle réconcilie anciens et ex-modernes. La réussite vient sur
le tard, quand la silhouette androgyne qui lui a posé bien des problèmes la
mène au triomphe dans des rôles travestis d’adolescents, dont L’Aiglon d’Edmond Rostand qu’elle joue
jusqu’à ses cinquante-six ans.
A trente-six ans, la
Divine démissionne de la Comédie française à qui elle doit de conséquents
dommages et intérêts, ce qui n’entrave pas la création de sa propre compagnie,
avec laquelle elle fait fortune en jouant sur les cinq continents, véhiculée
dans un train spécialement affrété pour sa troupe et ses huit tonnes de malles
personnelles. En 1882, Sarah prend la direction du Théâtre de la Renaissance.
Dreyfusarde, elle soutient Zola, comme elle a toujours soutenu Louise Michel.
Les deux femmes ont, entre autres, pour cause commune leur opposition à la
peine de mort. En 1903, à l’âge de cinquante-neuf ans, Sarah est Hermione, la
jeune première d’Andromaque. A
soixante-dix ans, la République lui offre la Légion d’honneur, peu avant que
l’actrice ne soit amputée de sa jambe droite qui la fait souffrir depuis des
décennies. En hommage au courage des hommes sur le front, elle refuse toute
anesthésie et se rend dans la salle d’opération en chantant la Marseillaise. A peine rétablie, elle
reprend, en chaise à porteur, la tournée aux armées qu’elle mène durant tout le
conflit.
Travailleuse infatigable
et fantasque, dormant dans un cercueil afin d’alimenter la légende, elle
réinvente sans cesse sa vie dans ses mémoires, joue plus d’une centaine de
spectacles, écrit quelques pièces, des mémoires, des récits et s’éteint à
soixante-dix-neuf ans. Sa voix d’or ne résonne plus, le pays offre au Monstre sacré des funérailles
nationales.
Je suis toujours dangereuse, est la devise d’Hubertine
Auclert.
Née entre les deux révolutions de 1848, elle s’éteint au lendemain de la
déclaration de guerre de l’Empire allemand à la France, à soixante-six ans.
Issue d’une famille aisée et républicaine de l’Allier, sa mère accueille des
filles-mères et manifeste de l’empathie pour celles ayant dû subir une IVG, l’occupation
allemande, liée à la défaite de 1870, est une blessure profonde pour celle qui
a, comme beaucoup de jeunes femmes de son temps, une fascination pour Jeanne
d’Arc.
En pension au couvent, comme
Sarah, Hubertine se voit devenir nonne, mais elle quitte la clôture à sa
majorité, en 1869, le Second empire agonise. Après la Commune, à vingt-trois
ans, elle s’installe dans un Paris en ruines. Admiratrice de Maria Deraisme et
de son Association pour le droit des
femmes, créée deux ans auparavant, la jeune femme axe son combat sur le
suffrage des femmes et se dit féministe. Très anticléricale, elle fonde, à
vingt-huit ans, la société Le droit des
femmes, qui devient, cinq ans plus tard, Le suffrage des femmes. Isolée, car considérée comme trop radicale,
elle lance l’hebdomadaire La Citoyenne
et reçoit le soutien de Séverine. Sa stratégie est de pétitionner et d’écrire
inlassablement dans les journaux, le sien, ceux des autres, sous son nom ou ceux
de Liberta ou Jeanne Voitout. Les femmes doivent envahir les colonnes des
périodiques et l’espace public afin d’êtres visibles, audibles et
lisibles : Qu’elles demandent,
qu’elles importunent, qu’elles obsèdent. Dès 1885, elle profite des
funérailles nationales de Victor Hugo et marche de 9h à 18h dans la rue le long
du cortège avec la banderole rose sur laquelle elle a brodé d’or : Le droit des femmes. Tous les 14
juillet, elle défile en berne et dépose une couronne à Jeanne d’Arc. La jeune
femme invente le faux timbre de vote où un homme brandit Les droits de la femme, et l’affiche sur laquelle un couple vote
face au soleil levant. Comme Sarah Bernhardt, Hubertine est une femme de
communication.
Elle milite pour la féminisation
des noms et veut bannir le mot demoiselle, pour le premier il faut attendre la
loi de 1986 qui peine à être appliquée et pour la seconde 2013, un quasi
centenaire après la mort de la féministe. Son seul soutien politique est le
vieil Auguste Blanqui qui lui laisse la première partie de ses meetings. Louise
Michel qui est son idole, la juge trop bourgeoise dans ses revendications. De
son côté, Hubertine, tout aussi radicale, refuse de suivre les funérailles de
Clémence Royer qui refusait le suffrage et dénonce les travers féminins et la
vanité des femmes diplômées.
Partie en Algérie durant quatre
ans avec son mari et son fils, elle publie au tournant du siècle Les femmes arabes en Algérie. En 1910, à
soixante-deux ans, comme Marguerite Durand et Madeleine Pelletier, elle dépose
une candidature illégale aux élections législatives, obtenant 4% des voix
masculines exprimées.
Dans tous ses appartements,
l’accompagnent un buste de la république posé sur la cheminée et un portrait de
Georges Sand qui jugeait fort mal les suffragistes de 1848.
Marie-Philomène Roptus, dite Sophie Lumina ou Surprise naît en 1848, neuf mois
après la seconde abolition de l’esclavage sur le territoire français, en
Martinique. En France, Eugénie Niboyet et Jeanne Deroin se battent pour la
reconnaissance des droits des femmes et le droit au suffrage. L’enfance de
Sophie Lumina est marquée par le changement de statut des anciens esclaves et
la difficile mise en place des contrats d’association laissant en jouissance
aux travailleurs une case et un lopin de terre. Surprise a six ans quand sa
mère, devenue chef de famille, s’installe sur l’habitation Champfleury entre
Vauclin et Rivière Pilote, vendant ses bras à la journée au gré des récoltes.
Au début de l’année 1870, Surprise,
jeune femme de vingt-et-un ans, est dotée d’une forte personnalité, journalière
par moments, vendeuse sur les marchés, fréquentant les artisans, cultivatrice
et couturière rurale, vivant en concubinage avec Emile Sidney, issu d’une
famille de libres de couleur, elle s’insurge contre l’impôt dû par les anciens
esclaves, méprisés et qui n’ont pas accès à l’instruction. L’affaire Lubin,
entrepreneur noir victime d’un jugement arbitraire en faveur d’un jeune blanc,
met le feu aux poudres, une insurrection contre la persistance des statuts coloniaux
d’avant l’abolition enfle le 22 septembre 1870, quand la population du Sud de
la Martinique se soulève. Lumina est des insurgés. La IIIème république a été
proclamée trois semaines plus tôt en métropole, les premiers combats du siège
de Paris ont commencé depuis cinq jours. L’insurrection est écrasée en cinq
jours par des troupes de marine et des milices de volontaires blancs.
Surprise, enceinte de deux mois,
est arrêtée le 26 septembre 1870. Elle est presque à terme lorsqu’elle passe
devant ses juges. Lors de son premier procès qui commence la veille de la
Commune, elle est présentée comme une femme
cherchant à dominer les hommes et la flamme
de la révolte, la plus féroce, la
plus terrible des chefs de bande, la maniaque de l’incendie. Elle est pourtant
relaxée le 17 avril d’une partie des charges. Dix jours plus tard, elle donne
naissance à un garçon qui lui est retiré. Son second procès, aux chefs
d’accusation de révolte, blasphème, incendie et participation active à
l’insurrection, débute un mois plus tard, au lendemain du premier jour de la
Semaine sanglante, Louise Michel est sur les barricades, les Versaillais
prennent les XVIe et XVe arrondissement, des exécutions sommaires ont lieu dans
la caserne de la rue du Bac, Madeleine Bres officie au titre d’interne
provisoire et Jean Baptiste Millière réfugié rue d’Ulm n’a plus que quatre
jours à vivre. Le 8 juin, Sophie, qui ne parle que le créole dans un tribunal
où toutes les plaidoiries sont menées en français, est condamnée aux travaux
forcés à perpétuité. Déportée en Guyane, elle arrive au bagne trois jours avant
Noël. Auguste Villard condamné avec elle au bagne de Nouvelle Calédonie part en
1873 sur le Virginie, bateau où Louise Michel est embarquée elle aussi. Le fils
de Sophie meurt peu après, sans être sorti de la prison où il est né.
En 1877, à vingt-neuf ans, la
jeune condamnée est contrainte de se marier à un bagnard et meurt deux ans plus
tard d’épuisement, de maladie et de mauvais traitements.
Voici s’avancer une femme d’une
beauté renversante, correspondant aux canons du temps ; de grands yeux
bleus, une bouche pulpeuse, des cheveux volumineux et blonds, un port de tête
de cygne, une voix douce envoûtante. Une femme sachant écouter beaucoup et
bien, un esprit brillant à l’humour corrosif. Caroline Rémy, Séverine, de son nom de plume, est la fille d’un petit fonctionnaire de la préfecture de
police, née en 1855. Première femme journaliste à vivre de sa plume, formée par
Jules Vallès, la rumeur veut qu’elle ait fini L’insurgé. Quatre ans plus tard, après l’accident des mines de
Saint-Etienne, elle descend dans un puits et inaugure le grand reportage. Ce qu’est la vie de ces gens, je vais vous le
dire, à vous tous qui, assis devant le large foyer où flambe la houille, ne
savez pas ce que coûte d’efforts chacun de ces éclats de terre carbonisée. Elle lance une souscription pour
les familles de mineurs. Peu après, la reporter suit pour Le Journal, la grève des casseuses de
sucre de la rue de Flandres, en immersion cette fois-ci.
Refusant dans un premier temps de
recevoir Madame Dreyfus qu’elle juge trop bourgeoise, elle rallie le
dreyfusisme dès la sortie de l’article J’accuse,
d’Emile Zola et suit son procès dans ses Notes
d’une frondeuse rédigées sur le vif et publiées dans La Fronde de Marguerite Durand. La flamboyante s’engage dans la
lutte pour le vote des femmes, tentant en vain de fédérer les associations
suffragistes. Elle est de ceux qui participent à la fondation de la Ligue des droits de l’homme et dénoncent
les massacres d’Arménie en 1898.
Multiamoureuse, femme libre, dans
ses idées et ses amours, elle meurt en 1929, trois jours avant de fêter ses
soixante-quatorze ans, quand Maryse Bastié reçoit la Légion d’Honneur à
trente-et-un ans pour les records aériens battus tout au long de l’année, la
jeune et brillante Simone de Beauvoir, âgée de vingt-et-un ans, est reçue
deuxième à l’agrégation derrière Jean-Paul Sartre.
Je suis Séverine, rien que Séverine, une isolée, une indépendante.
Marguerite Durand a neuf ans de moins que sa
consœur, Séverine. Son aînée la décrit comme une fine créature mince comme un jonc, au teint à peine rosé, nimbée d’un
or si pâle et de fils si ténus qu’on eût cru une chevelure de jeune enfant, les
yeux couleur de ciel, toute de grâce et de fragilité !
La Parisienne, fille naturelle
d’Anne-Caroline Durand, membre de la bourgeoise aisée, et peut-être du
sculpteur Auguste Clésinger, gendre de George Sand, naît le 24 janvier 1864.
Marguerite entre à onze ans au Conservatoire et obtient à seize ans le premier
prix de comédie. Un an plus tard, alors que Sarah Bernhardt a démissionné depuis quelques mois, la jeune fille joue
les rôles d’ingénues à la Comédie- Française. Au faite de sa gloire, elle
épouse, à vingt-quatre ans, un avocat, député boulangiste antisémite. Leur
mariage dure trois ans. Marguerite désireuse d’écrire, intègre le Figaro, où elle met en place une
rubrique courrier. Elle a vingt-huit ans et a divorcé depuis un an, quand
envoyée à un congrès féministe international afin de dénigrer le propos, elle est
conquise et refuse d’écrire à charge. L’idée lui vient de créer un journal
entièrement fait par des femmes.
L'idée m'était venue d'offrir aux femmes une arme de combat, un
journal qui devait prouver leurs capacités en traitant non seulement de ce qui
les intéressait directement, mais des questions les plus générales et leur
offrir la profession de journaliste actif. L’année suivante, La Fronde est fondée, des typographes à la rédactrice en chef, tout
le personnel est féminin, les articles traitent de tout et de l’actualité.
L’entregent de Marguerite, âgée de trente-sept ans, lui permet d’obtenir les
autorisations nécessaires à l’entrée de ses journalistes à l’Assemblée et à la
Bourse interdites aux femmes depuis 1848. Le financement de l’entreprise est le
reliquat de la carrière d’actrice de la belle. Dans mon écrin étaient vingt-deux perles patiemment collectées une à
une pendant des années. Perles sans défaut, perles d’orient parfaites de forme
et destinées à composer un collier rare. Leur prix fut le capital de La Fronde.
Son périodique est à l’image de
celle qu’elle est devenue, dreyfusarde, laïque et pacifiste. Quand le premier
numéro est sous presse, Madeleine Pelletier, passe en autodidacte le
baccalauréat, cinq ans plus tard, l’internat lui est refusé, la bachelière
bénéficie du soutien médiatique de La
Fronde et obtient gain de cause grâce à Marguerite Durand. Malgré les
grands noms du journalisme féminin qui écrivent dans ses colonnes, dont
Séverine, le périodique peine à survivre. Quotidien jusqu’en 1903, date où il
devient mensuel, il finit par disparaître en 1905, en pleine tourmente des lois
de laïcité.
Marguerite lance alors l’idée des
candidatures féminines aux élections pour les municipales de 1908, reprise avec
Hubertine Auclert et Madeleine Pelletier lors des législatives de 1910. Elle
est de nouveau une des candidates illégales aux municipales dix-sept ans plus
tard, à soixante-trois ans. En 1931, elle lègue sa bibliothèque et les
documents réunis sur les femmes à la ville de Paris, créant le premier Office de documentation féministe, qu’elle
dirige bénévolement jusqu’à sa mort en 1936, à la veille de l’entrée des trois
premières secrétaires d’Etat féminines, dont Cécile Brunschvicg au gouvernement
de Front populaire. Huit ans après sa mort, les femmes votent et sont éligibles
pour la première fois de notre histoire.
Andrée
Viollis - Anna Amieux - Alice Guy
Madeleine
Pelletier - Cécile Brunschvicg
Chapitre
deuxième
Nouvelle
vague
Andrée Viollis marche sur les traces de
Sévérine, dont elle est de quinze ans la cadette. Collègues à la Fronde, que dirige Marguerite Durand,
Andrée rédige, de 1899 à 1903, pour le quotidien des articles contre les
antidreyfusards dont son ex-mari Gustave Téry, directeur de L’Oeuvre, journal pacifiste à l’antisémitisme croissant.
Comme Séverine, la jeune
journaliste a plusieurs noms, née Françoise-Caroline Claudius Jacquet de la
Verryère en Provence quand Paris subit les rigueurs du siège allemand, elle
prend ensuite les patronymes de ses deux maris successifs Téry puis Tizac, et
enfin le pseudonyme d’Andrée Viollis. Bachelière en 1890, sur dérogation et
encore mineure, la jeune fille, dont le père est un ancien préfet du Second
empire et la mère tient un salon littéraire, est peu après titulaire d’une double
licence et diplômée de l’université d’Oxford alors que ses congénères
méritantes mais de milieux plus modestes se contentent d’un cursus
d’enseignantes des lycées ou de directrices, ainsi la brillante Anna Amieux.
Outre ses activités qui font d’elle la première femme nommée pour le prix
Goncourt en 1913, Andrée a de ses deux mariages, quatre filles, dont Simone
Téry, grand reporter et écrivaine comme elle. Un an plus tard, toujours
pimpante, vêtue de robes de mousseline et en talons, très féminine d’aspect et de caractère, la très petite dame d’un
naturel impulsif et généreux, qui voyage en 1ère classe, descend
dans les grands hôtels, se déplace conduite par des chauffeurs, obtient le
statut de grand reporter pendant la Première Guerre mondiale, tout en officiant
en tant qu’infirmière dans les villes bombardées de Bar-le-Duc et de
Sainte-Ménehould. Durant trois ans, après-guerre, attachée à la rédaction du Times et du Daily Mail, Andrée entre aussi au Petit Parisien, pour vingt ans. Romancière, la journaliste tire de
chacun de ses grands reportages, un livre. En 1930, à près de cinquante ans,
quand Anna Amieux approche de la retraite, l’aventurière est le seul témoin
extérieur de la révolte de Kaboul et franchit seule l’Himalaya dans un frêle
avion de bois. La célébrité est au rendez-vous. Engagée contre le colonialisme,
elle publie SOS Indochine préfacé par
Malraux, proche du parti communiste, auquel adhère sa fille, et militante
antifasciste, elle codirige Vendredi,
le journal de soutien au Front populaire, à soixante-six ans. Membre de la Ligue des droits de l’homme et du Comité mondial des femmes contre la guerre
et le fascisme, elle mobilise pour l’Espagne républicaine et se rend sur le
front, où sa fille rédige aussi des articles pour Vendredi. Muette lors du pacte germano-soviétique, durant la guerre
elle se cache à Lyon et à Dieulefit, où elle écrit Le racisme hitlérien, machine de guerre contre la France publié
clandestinement en 1943-44. A la Libération, à soixante-quinze ans, elle vote
pour la première fois, et écrit dans Ce
soir une enquête officielle sur l’effort de guerre américain. Trois ans
plus tard, elle se rend en Afrique du Sud et publie Afrique du sud cette inconnue. Andrée meurt en 1950, sans voir
Simone de Beauvoir recevoir le Goncourt près de quarante ans après sa propre
nomination.
Issue d’une modeste famille protestante lyonnaise, la brillante et précoce Anna Amieux,
née un mois après la fin de la Commune de Paris, obtient son diplôme de fin
d’études secondaires au lycée de Lyon, intègre l’École de Sèvres à dix-huit ans
et en sort agrégée de sciences à peine majeure. Fille d’un employé des chemins de fer, elle finit sa
carrière dans le fauteuil de directrice de l’École de Sèvres. Loin du monde et
des privilèges d’Andrée Viollis, qui entre à l’Université et vit dans un milieu
qui peut défier les normes sociales, Anna, devant suivre des règles strictes de
moralité, fait carrière mais n’a ni mari ni d’enfant. Son ascension à
l’intérieur d’une institution des plus rigides, par son talent, son initiative
et sa volonté d’améliorer le sort de ses semblables, la porte à un poste de
direction en un temps record. Anna aspire à modifier le regard posé sur les
femmes par la société afin que la
condition de la Française change.
Je crois que les jeunes filles françaises de classe moyenne, pour qui les
lycées ont été fondés, sont actuellement les plus mal partagées. Si l’on
excepte le petit nombre de celles qui, riches, ont presque la certitude d’être
recherchées pour le mariage dans leur milieu, on peut dire que les autres, par
prévoyance ou par nécessité immédiate, doivent s’assurer un gagne-pain. Quand
elles se mettent à l’ouvrage, déjà possédées par ce besoin de dévouement
inhérent à leur nature, elles ne peuvent choisir qu’entre un petit nombre de carrières,
elles sentent qu’on ne les encourage pas, qu’on les regarde souvent agir sans
intérêt, comme « des êtres qui manquent leur vie » et à qui plus tard, le cas
échéant, on reprochera de n’avoir pas de foyer. Les mieux douées ou les plus
favorisées du sort font leur trouée dans le monde par le travail ou le mariage,
les autres végètent, luttent, révoltées ou résignées, souffrent, s’étiolent. Le
tableau est sombre, sans l’être trop.
Encouragée par ce qu’elle a vu lors de son voyage américain, financé par le
mécène humaniste Albert Kahn, Anna souhaite changer la place des femmes
instruites en France, ce qui n’est possible qu’en changeant la société
et l’enseignement.
Cet état de choses, cruel pour les individus, est mauvais pour le pays qui
perd ainsi de réelles sources d’énergie. Est-il sans remède ? Le remède doit
venir, je crois de deux côtés : de la société et des femmes. La société
pourrait : 1° Modifier les idées sur les
conditions du mariage.
2° Accepter ce fait que certaines femmes sont obligées
de vivre seules et qu’elle doit les aider, les encourager à se créer une
existence indépendante, honorée et utile. Je crois aussi que les jeunes filles
doivent être averties de l’alternative qui les attend et préparées à l’une et
l’autre vie. Cette préparation a son point de départ dans la famille, mais
l’école peut et doit intervenir.
Ce n’est pas trop lui demander que d’être le début de la vie vraie.
Ainsi durant la Première guerre mondiale, dix ans après son séjour
américain, la brillante Anna, offre aux jeunes scientifiques françaises les
premières carrières d’ingénieurs, en créant dans une annexe du lycée Jules
Ferry une section d’élite préparant l’entrée à l’École Centrale des Arts, la
seule école masculine dont le règlement est évasif quant au sexe des candidats.
Huit jeunes filles formées dans son établissement concourent sur fond de
polémique. Sept sont admissibles et quatre sont admises dont la major de
promotion. Jusqu’en 1923, de trois à quatre élèves féminines entrent, chaque
année, dans l’antre de la science faite homme grâce aux initiatives d’Anna. Le
coup d’éclat la promeut directrice de l’École de Sèvres, elle a quarante-huit ans. Par les voies
scientifiques et pédagogiques d’excellence sa vie durant, Anna s’est engouffrée
dans chacune des brèches où il lui a été possible d’agir pour l’instruction et
la progression des femmes et de la science, en rêvant d’égalité, suffragiste
Anna vote pour la première fois à soixante-quatorze ans et s’éteint dix-huit
ans plus tard, à quatre-vingt-douze ans.
Si Anna Amieux dans l’ombre de
Marie Curie promeut les sciences, Alice
Guy Blaché est la femme de l’invention révolutionnaire du tournant du siècle, le
cinématographe. Elle naît en 1873, quand
Sarah Bernhardt, à trente ans, triomphe dans Phèdre, et Louise Michel vogue vers la Nouvelle Calédonie. Après
des études de sténographe, Alice qui est polyglotte, réalise, à vingt-et-un
ans, son premier court métrage Esméralda
et deux ans plus tard, le premier film de l’histoire comportant des effets spéciaux,
La fée aux choux, qui connaît le
succès. Embauchée chez Gaumont en tant que secrétaire, la jeune fille se mue en
scénariste et réalisatrice, son patron, à peine plus vieux qu’elle, lui
laissant carte blanche, la jeune fille tourne ainsi une centaine de films entre
1900 et 1909, enthousiaste incorrigible, tentant toutes les innovations, de la
couleur aux effets sonores, vingt ans avant le premier film parlant étatsunien.
Le succès est là dès 1906, avec La
Passion du Christ, premier péplum de l’histoire du cinéma. A trente-trois
ans, Alice rencontre Herbert Blaché, directeur de la Gaumont à Berlin. Tous
deux sont envoyés en 1907 à Long Island pour observer les évolutions du cinéma.
Installée aux Etats-Unis, elle fonde la Solax, son propre studio, ce qui fait
d’elle la première créatrice d’une société de production outre-Atlantique. Ses films
américains connaissent un tel succès, que dès 1912, elle est la seule femme du
pays gagnant plus de 25 000 dollars par an. A quarante-et-un ans, riche,
célèbre, enceinte, directrice du studio le plus important du pays, référence du
milieu cinématographique, elle pousse l’audace jusqu’à tourner en extérieur et
à donner cet ordre révolutionnaire aux acteurs : Soyez naturel !
Ses conférences sur les droits
des femmes sont prisées ainsi que les deux fables féministes qu’elle réalise.
Néanmoins comme pour toutes les épouses, comme George Sand avant elle, son mari
est le propriétaire de ses biens et des dividendes de son travail. Herbert,
pour fonder la Blaché picture, vend,
sans l’en informer, à vil prix, un des films de sa femme qui est un grand
succès. Le couple se sépare, Alice, privée de sa maison de production, réalise
des longs métrages pour d’autres compagnies. Le divorce est prononcé en 1918.
En un temps où les compagnies indépendantes disparaissent, la productrice fait
de mauvais choix en refusant des associations intéressantes. Ruinée, elle vend
à perte son studio ainsi que tous ses biens et revient en France à
quarante-neuf ans. Oubliée, elle s’installe chez sa sœur, et écrit des contes pour
enfants. Ses films disparaissent peu à peu. A la fin de sa vie, Alice décide de
réunir les bobineaux de son œuvre. En 1995, cinquante de ses films sur les sept
cents de sa production sont retrouvés. La vieille dame meurt à quatre-vingt-quatorze
ans, deux mois avant mai 1968. Son autobiographie est publiée peu après.
Madeleine Pelletier naît deux mois après Alice Guy
en 1874, dans un milieu indigent. Son père, cocher de fiacre, est paralytique
dès ses quatre ans et sa mère, qui tient une échoppe de fruits et légumes, se
dit fille illégitime d’un noble, professant un royalisme et un catholicisme
fanatiques. Des douze enfants du couple seuls deux survivent, Madeleine et son
frère aîné. Brillante élève d’une école catholique, elle la quitte
volontairement à douze ans contre l’avis des religieuses, se voulant déjà différente. Autodidacte lisant
énormément, elle commence à fréquenter les anarchistes et, à seize ans, la
jeune fille décide d’étudier seule et obtient sept ans plus tard, le
baccalauréat avec la mention Très Bien. Elle est des cent vingt-neuf
femmes assises sur les bancs de la faculté de médecine, dont cent sont
étrangères, parmi les quatre mille cinq cents étudiants. Boursière du Conseil
de Paris, la brillante étudiante, qui est la seule de l’amphithéâtre à lire des
journaux dreyfusards, dont La Fronde
de Marguerite Durand, s’oriente vers la psychiatrie. A vingt-huit ans, en 1902,
une génération après Marguerite Bres, Madeleine est interdite de concours à
l’internat dans le service psychiatrique hospitalier, car il faut jouir de ses droits civils et
politiques, pour l’intégrer. Objet de la première campagne féministe de La Fronde, et d’un âpre débat auquel la loi ne résiste pas,
Madeleine, à vingt-neuf ans, passe avec succès le concours, ceci faisant d’elle
la première femme interne des asiles psychiatriques de la Seine, sans revenu
elle cumule les activités de son cabinet médical avec des responsabilités
d’urgentiste de nuit et de médecin fonctionnaire des PTT pour survivre.
La docteure, valorisant la virginité
et le célibat militant, anarchiste à ses heures, est rejetée par ses camarades
de lutte et par beaucoup de féministes car non seulement elle s’habille en
homme et porte les cheveux courts, mais elle revendique un sens éminemment politique
à ce geste. Si je m’habille comme je
le fais c’est surtout parce que je suis féministe ; mon costume dit à
l’homme : Je suis ton égale. Entrée dans la franc-maçonnerie par
anticléricalisme, à trente ans, Madeleine se lie d’amitié avec Louise Michel,
dont elle suit le cortège funèbre en première place aux côtés de Séverine. De
1906 à 1914, Madeleine écrit sans discontinuer pour des revues féministes, socialistes
et révolutionnaires, tout en tentant d’organiser le militantisme féministe. En 1907,
paraît son article Les facteurs
sociologiques de la psychologie féminine, où, avant Simone de Beauvoir et
reprenant Hubertine Auclert, elle démontre que l’on ne naît pas femme mais qu’on le devient, en concevant le
rapport entre les sexes comme un rapport social.
Très impressionnée par les
suffragistes anglaises, elle décide de franchir le pas et de lutter pour le
suffrage des femmes. Lors des législatives de 1910, comme Marguerite Durand et
Hubertine Auclert, Madeleine est candidate, sous les couleurs du Parti Socialiste
qui la présente dans une circonscription perdue d’avance mais où elle obtient
néanmoins 4 % des voix. A la veille de la Première guerre mondiale, elle
est la féministe la plus connue de France et a, en sus, une aura internationale,
ce qui lui permet de se présenter à nouveau aux élections en 1912. Mais
l’étrangeté et l’intransigeance de sa forte personnalité dérangent, sans
compter le scandale suscité par la brochure publiée en 1911, Le droit à l’avortement. L’indignation est
unanime tant du côté socialiste que féministe d’autant que l’auteure pratique
elle-même des IVG. Lors de la déclaration de guerre, interdite d’exercice sur
le front, comme toutes ses consœurs médecins, elle s’engage dans les rangs de
la Croix-Rouge afin de donner des soins aux blessés, tout en tenant un journal
de guerre.
L’entre-deux-guerres et sa
grande offensive pro-nataliste, mettent à mal Madeleine qui, à déjà près de
cinquante ans, est envoyée devant les tribunaux d’assises plus d’une fois pour
avoir pratiqué des IVG. Très en vue, elle adhère au Mouvement Amsterdam-Pleyel
contre la guerre. De nouveau accusée, elle est victime d’un AVC et traînée
devant les tribunaux. Jugée irresponsable, elle est néanmoins désignée comme un danger pour elle-même, pour autrui et
pour l’ordre public, et condamnée à être internée, car elle ne correspond
pas au modèle de mère et d’épouse.
La docteure meurt de désespoir sept mois plus tard, le 29 décembre 1939, à soixante-cinq
ans, là où elle avait fait son internat. Six ans plus tôt, elle avait publié
son autobiographie, La femme vierge.
Cécile Brunschvicg naît Cécile Kahn, cinq jours après le quatorze juillet 1877. Marguerite
Durand est depuis deux ans au Conservatoire, Louise Michel est en Nouvelle
Calédonie depuis quatre ans, Rachel est morte depuis vingt ans. Née dans une
riche famille juive républicaine, elle obtient à dix-sept ans son certificat
d’études supérieures, préparé en secret car son père, industriel alsacien, est
opposé aux études féminines. Cécile âgée de vingt-deux
ans rencontre Léon Brunschvicg de dix ans son aîné, philosophe
féministe, vice président de la Ligue des
électeurs pour le suffrage des femmes, qu’elle épouse. Ses engagements
politiques se forgent dans la lutte dreyfusarde, tout en donnant le jour à
quatre enfants. En 1909, elle adhère à l’Union
française pour le Suffrage des femmes, dont elle est la Secrétaire générale
durant vingt-deux ans à partir de 1924, cent ans après la naissance de Jeanne
Daubié. L’un de ses chevaux de bataille est la mise en place d’une école mixte,
ayant les mêmes programmes et offrant les mêmes diplômes quel que soit le sexe
des candidats. Durant la Première guerre mondiale, elle participe au relogement
des réfugiés, aide à la création de centres sociaux et de l’Ecole des
surintendantes d’usine. En 1926, elle prend la direction de La Française, hebdomadaire de l’Union française pour le suffrage des femmes,
où elle publie de nombreux articles. Dix ans plus tard, lors de l’avènement du
Front populaire, Cécile, attachée à l’Education nationale sous la tutelle de
Jean Zay, est l’une des trois femmes nommées sous-secrétaires d’Etat par Léon
Blum. Durant la guerre, plutôt que de fuir à l’étranger, elle reste en France
où, cachée dans le midi, elle est professeure dans un pensionnat. A la
Libération, affaiblie, l’ex sous-secrétaire d’Etat reconstitue pourtant l’Union française pour le suffrage des femmes
et prépare les élections municipales de 1945, où elle vote à soixante-huit ans
pour la première fois, un an avant son décès.
Louise
Weiss - Rose Valland - Paulette Nardal
Joséphine
Baker - Simone de Beauvoir
Charlotte
Delbo - Sylvia Monfort
Chapitre
troisième
Indépendance
Née en 1893, seize ans après Cécile Brunschvicg, Louise Weiss est alsacienne et descend par son père d’une famille protestante d’ingénieurs
des mines et par sa mère d’une riche famille juive allemande et tchèque
installée à Seppois-le-Bas. Cette année-là Séverine écrit ses Pages rouges et Maria Deraismes fonde la
première loge maçonnique mixte, le Droit
humain. Comme Cécile, Louise est élève de lycée contre l’avis paternel.
Agrégée de lettres, diplômée d’Oxford, comme Andrée Viollis, la jeune femme
s’oriente vers le journalisme, fréquentant les exilés tchèques et slovaques
avec qui elle développe son intérêt pour les relations internationales.
Pacifiste convaincue, elle devient infirmière en Bretagne, en 1914 là où sa
famille est réfugiée. Après guerre, empreinte de l’esprit de la Société des
Nations, proche d’Aristide Briand et cherchant à rapprocher la France et
l’Allemagne, elle fonde et dirige la revue L’Europe
nouvelle de 1920 à 1934 et dans la même dynamique l’association Femmes nouvelles qui compte plus de dix
mille adhérentes.
Elle lance à la même époque une
vaste campagne pour le suffrage des femmes et se présente aux législatives de
1936, dans la lignée de Marguerite Durand, Hubertine Auclert et Madeleine
Pelletier. Louise, en maîtresse de la communication, organise des actions très
médiatiques ; un tour de France, auquel participent les aviatrices Hélène
Boucher et Maryse Bastié, stars du moment, un lâcher de ballons rouges, avec
des tracts féministes lors de la finale de la Coupe de France de football, une
distribution de myosotis, fleurs du souvenir, le 1er juin aux
nouveaux députés et le lendemain des chaussettes, portant l’inscription, Même si vous nous donnez le droit de vote,
vos chaussettes seront raccommodées, aux sénateurs, l’assaut de la piste du Grand Prix de Longchamp par des
militantes brandissant des pancartes, La
Française doit voter.
En 1939, à quarante-six ans,
Louise est nommée Secrétaire générale du Comité
pour les réfugiés d’Allemagne et d’Europe centrale. Lors de l’invasion
allemande, elle est à New York, où elle reste jusqu’en 1941, soutenant
brièvement Pétain avant d’entrer dans le réseau Patriam Recuperare, où elle joue un faible rôle. A la Libération,
elle vote pour la première fois à cinquante-trois ans, couvre le procès de
Nuremberg, fonde l’institut de polémologie, parcourt le monde, réalise un grand
nombre de films documentaires et publie, Ce
que femme veut.
En 1971, à soixante-dix-huit ans,
la suffragiste fonde l’Institut des sciences de la paix, s’engage dans les
premiers projets d’Union européenne et contribue à la création du Parlement
européen. A quatre-vingt-six ans, la vieille dame prononce le discours
d’ouverture de la première session du nouveau parlement dont la présidence
paraît devoir lui revenir, avant que ne la devance la jeune Simone Veil, âgée
de cinquante-deux ans. Décédée quatre ans plus tard, Louise repose dans le même
cimetière que Rosa Bonheur, là où se dressait l’abbaye de Port Royal.
Paulette Nardal naît,
en 1896, trois ans après Louise à des milliers de kilomètres de l’Hexagone, en
Martinique, là où est née près d’un demi-siècle plutôt Sophie Lumina. Issue
d’une famille modeste mais cultivée, aînée de sept sœurs, Paulette devenue institutrice, part
pour la métropole à vingt-quatre ans, où elle souhaite étudier l’anglais à la
Sorbonne ce qui n’exclu pas une fréquentation assidue du bal nègre. Licenciée d’anglais, elle se fait journaliste,
approchant les écrivains du Harlem
Renaissance et tenant salon avec deux de ses sœurs, dans son appartement de
Clamart, où les réunions bilingues se multiplient afin de créer des liens entre
écrivains noirs de tous horizons. Paulette, sa sœur Andrée et le haïtien Leo Sajous
fondent La Revue du Monde Noir. Revue
bilingue et tribune noire à laquelle contribuent Claude McKay, Langston Hughes et
Léopold Sedar Senghor, tout comme l’ethnologue allemand Leo Frobenius. La jeune
femme fonde un mouvement précurseur de la Négritude. La devise de la revue est
: Pour la paix, le travail et la justice,
par la liberté, l’égalité et la fraternité. En 1932, après six numéros, l’aventure
s’achève. Mais le mouvement est lancé. Césaire et Senghor ont repris les idées que nous avons brandies et les
ont exprimées avec beaucoup plus d'étincelle. Nous n'étions que des femmes.
Nous avons balisé les pistes pour les hommes.
Paulette part au Sénégal en 1937, à quarante-et-un
ans, sur l’invitation de Senghor. Après avoir tenté de mobiliser contre
l’invasion de l’Ethiopie, membre de la SDN, par Mussolini, elle est victime, en
1939, d’un naufrage dû au torpillage de son navire par un sous-marin allemand
au large de l’Angleterre qui la laisse handicapée. Elle retourne en Martinique,
où nombre de jeunes rejoignent la Résistance en passant par les îles
anglophones. Paulette leur donne clandestinement des cours d’anglais afin
qu’ils puissent être opérationnels dès leur arrivée. A la Libération, elle
sensibilise les femmes martiniquaises à la politique en créant le Rassemblement Féminin, incitant les
femmes de tous milieux à se servir du droit de vote, ainsi que la revue La femme dans la cité. Elle a
quarante-neuf ans lorsqu’elle glisse pour la première fois un bulletin de vote
dans une urne. La création de crèches et l’aide aux filles-mères sont ses
priorités dans les décennies suivantes. L’année du centenaire de l’abolition de
l’esclavage et de la naissance de Surprise, Paulette inventorie la tradition
musicale des campagnes martiniquaises, le Bèlè et le Ladjia disparaissant face
à la concurrence du jazz. Le 16 février 1985, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans,
Paulette s’éteint.
En 1898, Rose Valland naît en
pleine affaire Dreyfus, neuf mois plus tôt l’Aurore publiait J’accuse.
Née le jour de la Toussaint, Rose, fille d’un charron et maréchal ferrant,
entre à seize ans à l’école normale d’institutrices. Formée durant la guerre,
douée pour les Beaux-arts, elle part à Lyon où elle reçoit de nombreux prix. A
vingt-quatre ans, elle est admise aux Beaux Arts de Paris, et peut, neuf ans
plus tard, soutenir une thèse à l’Ecole du Louvre sur l’Art italien jusqu’à Giotto. Rose parle parfaitement l’allemand et
sillonne l’Italie.
Depuis 1932, et ses trente-quatre
ans, la jeune femme est attachée bénévole à la Galerie nationale du Jeu de
Paume, où elle est salariée et titularisée neuf ans plus tard. Paris est occupé
depuis plus d’un an, quand Jacques Jaujard l’attache aux œuvres spoliées par
les nazis dont le Jeu de Paume est le dépôt central. Durant quatre années, Rose
enregistre tous les transferts effectués, collectant les carbones jetés dans
les poubelles, fournissant des informations à la résistance sur les convois
d’œuvres d’art et informant les Américains des lieux de stockage afin d’éviter
leur bombardement. Le 24 novembre 1944, elle intègre la Commission de
récupération artistique qui n’est dissoute qu’en 1949, vivant en zone
d’occupation en Allemagne afin de mener à bien ce travail, qui la conduit à
témoigner au procès de Nuremberg. Elle y rencontre Joyce Heer, interprète de
l’ambassade des Etats-Unis, qui est sa compagne durant trente ans. De retour en
France, elle est nommée chef du service de la protection des œuvres d’art et
deux ans plus tard, à cinquante-sept ans, conservatrice des musées nationaux.
En 1961, son autobiographie, Front de
l’art, connaît le succès et inspire le film, Le train. Retraitée en 1968, Rose vaque toujours à la restitution
des œuvres spoliées jusqu’à son décès à quatre-vingt deux ans, en 1980.
Vient l’escadron des aventurières
de l’air qui, quand elles ont survécu à leurs aventures aériennes, sont plus
qu’à leur tour entrées dans la Résistance, parmi elles, Maryse Bastié et sa consœur et concurrente, Maryse Hilsz,
issue elle d’une famille très modeste, s’engouffre dans l’aventure aérienne. Née en 1901, simple modiste, elle
s’inscrit à vingt-trois ans dans un concours de parachutisme alors qu’elle
n’est jamais montée dans un avion. Multipliant les sauts d’exhibitions pour
financer son brevet, elle est considérée comme une femme d’action élégante et à
forte personnalité. Virtuose en très peu de temps, elle réalise en 1930, un an
après avoir obtenu son brevet, le record de longue distance Paris-Saigon-Paris,
là où Hélène Boucher déclare forfait. Trois ans après Saigon, elle augmente son
record de distance et de vitesse par un Paris-Tokyo-Paris. Dans la foulée, elle
améliore son record d’altitude en avion à hélice avec 14 310 m, jamais égalé
pas une femme. Maryse pilote et répare seule son avion. En décembre 1937, la
jeune femme bat le record de vitesse masculin Paris-Saigon, effectuant le vol
en quatre jours. En 1941, elle entre dans la Résistance. A la Libération, le
ministre de l’air communiste crée un corps français de pilotes femmes à l’image
de celui existant en Urss, mais le recrutement prend fin dès 1946. Maryse,
sous-lieutenant de l’armée, trouve la mort dans ses fonctions, à quarante-cinq
ans.
Joséphine Baker naît Freda Joséphine MacDonald, en 1906 à
Saint-Louis aux Etats-Unis. Reconnue par son beau-père, Joséphine, placée chez
des blancs dès ses huit ans, est maltraitée. A onze ans, elle assiste aux
grandes émeutes de Saint-Louis, où trente-neuf noirs sont tués. Au terme de
l’insurrection et de sa répression, les sans-abris se comptent par milliers.
L’enfant fuit le foyer familial par un mariage à treize ans, ce qui ne
l’empêche pas d’être ouvertement bisexuelle toute sa vie. Divorcée avant ses
quatorze ans, elle intègre une troupe de danse itinérante. A
Philadelphie, elle rencontre Willie Baker, qu’elle épouse en 1921, à quinze
ans. Rêvant des lumières de Broadway, elle quitte son second mari, part pour
New York, où la femme de l’attaché commercial de l’ambassade des Etats-Unis
l’intègre à La Revue Nègre pour se produire à Paris. A dix-neuf ans, Joséphine est l’une des huit chorus girls du
spectacle. La première, en 1925, sept ans après la fin de la Première guerre,
entre scandale et succès avant-gardiste, lance la carrière de la jeune créole.
Posant pour les artistes impécunieux, modèle de Poiret enthousiasmé par son corps libre et félin, la jeune femme
est la coqueluche du tout Paris ayant même une pommade plaquante de cheveu à
son nom, la Bakerfix. Après une
mouvementée tournée européenne, elle chante aux Folies Bergères accompagnée
d’un léopard et contribue
à la préface de Tumulte Noir publié
en 1927.
Depuis que la Revue Nègre est arrivée au Gai Paris, je dirais qu'il
fait de plus en plus noir à Paris. D'ici peu, il fera tellement noir qu'on
craquera une allumette, puis on en craquera une autre pour voir si la première
est allumée ou non.
En
1931, à vingt-cinq ans, elle susurre J’ai
deux amours, véritable triomphe, le music-hall assure son fastueux train de
vie. Très généreuse, elle participe à de nombreuses œuvres, notamment durant la
crise. Joséphine est naturalisée en
1937.
Dès le
début de la Seconde guerre, la jeune femme chante pour la Croix Rouge à ses
frais, tout en étant un agent du contre-espionnage, avant d’intégrer les forces
féminines de la France Libre, malgré de graves problèmes de santé. Comme Rose
Vallant, à la Libération Joséphine est distinguée par la Croix de guerre, la
médaille de la Résistance et la Légion d’honneur.
Après son troisième mariage, en 1947, à
quarante-et-un ans, la belle métisse adopte des enfants du monde entier, créant
une famille difficile à gérer et vite privée de père.
En 1963, entrée dans la lutte
pour les droits civiques aux Etats-Unis, Joséphine participe en VIP à la marche
de Washington de Martin Luther King, où vêtue de son uniforme des Forces Françaises Libres, arborant ses médailles, fière de la reconnaissance française
par delà la couleur, elle représente officieusement la France lors de ce moment
historique.
Totalement
impécunieuse, expulsée de son château en 1969, elle est accueillie par sa
compatriote Grace Kelly, devenue princesse de Monaco. Remontant sur scène pour
des galas jusqu’à ses soixante-neuf ans, elle décède quelques heures après une
représentation à Bobino.
Lors de
ses funérailles, les honneurs militaires lui sont rendus. La femme aux deux
amours a pour ultime requête que les fleurs destinées à sa sépulture soient
recueillies pour fleurir la tombe du soldat inconnu.
Vivre, c’est danser
et j’aimerais mourir haletante, épuisée, à la fin d’une danse.
Physiquement, Madame de Beauvoir a le gros mérite de s’écarter du
type femme de lettres, à mine pointue et teint triste. Jeune vive, une voix
plaisamment éraillée, le cheveu noir et l’œil de Delft, le visage clair et le
soulier plat, elle aime le voyage et la discussion ; les quarante
kilomètres à pied dans la journée et les quarante heures de discussion quand la
discussion l’intéresse. Sur Simone de Beauvoir, agrégée de philosophie depuis
1929, on a raconté des tonnes de salades. Simone de Beauvoir et Sartre
devraient consommer gratis dans tous les bistrots qu’ils ont lancés.
In Manuel de Saint-Germain-des-Près. Boris Vian
Simone Bertrand de Beauvoir naît en janvier 1908.
Professeure de philosophie, elle n’aime pas Georges Sand, loue Hubertine
Auclert et ses luttes solitaires, même si elle juge durement sa focalisation
sur le suffragisme. Simone peut voter pour la première fois à trente-sept ans,
Hubertine jamais.
Si l’on n’est pas aimable, reste la littérature et le simple plaisir
de respirer. La
Première guerre est fatale à la fortune et à l’honneur de la famille de
Beauvoir, Simone a dix ans. Cinq ans plus tard, elle décide qu’elle sera un
écrivain célèbre. En 1925, un an après l’harmonisation des programmes
secondaires masculins et féminins ouvrant à toutes les jeunes filles le
baccalauréat, elle en est lauréate à dix-sept ans, entamant en parallèle des
études de lettres et de sciences. Licenciée à vingt ans, elle est encore
mineure, lors de sa rencontre avec Sartre et Nizan. L’année suivante, celle de
sa majorité elle est reçue deuxième de l’agrégation de philosophie dont Sartre
est major. Bisexuelle, elle est renvoyée du lycée Molière, en 1939, à la suite
d’un scandale lié à sa relation avec l’une de ses élèves. La sanction tombe en
1941, une suspension pour excitation à la
débauche sexuelle, Simone a trente-trois ans. Les années passent Simone
écrit l’Invitée. Toute la France est
occupée, les convois de déportés se multiplient, Charlotte Delbo tente de
survivre depuis deux ans à Ravensbrück, les activités de Rose Valland manquent
d’être repérées et Joséphine Baker chante sur le front nord africain.
A la Libération, Simone devient
compagnon de route du Parti communiste français, peu après, en pleine crise de
Berlin, à quarante-et-un ans, l’écrivaine connaît la consécration avec le 2ème sexe vendu à 22 000
exemplaires dès la première semaine de sa sortie. Le livre est mis à l’Index par le Vatican ; les ventes
explosent. Les Etats-Unis font un
triomphe à l’ouvrage qui se vend à un million d’exemplaires, fait l’effet d’une
bombe sur la société, et remet en cause la construction du féminin par le corps
social, dans la foulée son roman Les
Mandarins est distingué par le Prix Goncourt. Elle se bat aux côtés de
Gisèle Halimi et d’Elisabeth Badinter, pour la reconnaissance des violences
faites aux femmes et pour revendiquer le droit à l’avortement. Avec mai 1968,
son engagement féministe est de plus en plus radical, tout en montrant un
intérêt grandissant pour le sujet de l’avancée en âge. Simone signe le Manifeste de 1971 en plein combat pour
la légalisation de l’avortement. En 1986, le Castor, qui parlait de bouche à oreille à ses lecteurs, s’éteint à soixante
dix-huit ans. Ses funérailles sont suivies par plus de cinq mille personnes.
Charlotte Delbo nait en 1913, au
cœur de l’été, trois ans après Simone de Beauvoir, dans une famille d’immigrés
italiens. Autodidacte, bilingue en anglais, elle apprend la sténographie, comme
Alice Guy avant elle. A vingt-et-un ans, la jeune femme entre dans les
Jeunesses communistes et rejoint deux ans plus tard, en 1936, l’Union des
jeunes filles de France, créée et dirigée par Danièle Casanova. Jeune mariée,
elle fait des piges pour les journaux du Parti communiste dont ceux que
codirige Andrée Viollis. Devenue l’assistante de Louis Jouvet, elle le suit en
tournée jusqu’en Amérique latine. Lorsque la guerre éclate, et après la
débâcle, Charlotte décide de laisser la troupe et de revenir par ses propres
moyens en France, retrouvant son mari qui, entré dans la clandestinité,
travaille pour ce qui devient les Lettres
françaises. Elle prend sa relève au grade d’adjudant chef au titre de
résistance française. Cinq mois avant les rafles du Vel d’hiv et avant le
débarquement en Afrique du Nord, le 2 mars 1942, le réseau auquel appartient
Charlotte tombe, son mari, Danielle Casanova, Jacques Decour, les époux
Vaillant-Couturier et elle-même sont interpellés, torturés et transférés à la
Santé. Son mari est fusillé, deux mois plus tard, au Mont Valérien. Charlotte a
fêté ses vingt-neuf ans depuis deux semaines, quand le 24 août elle est
transférée de la prison de la Santé au camp de Romainville, où elle reste
jusqu’au 20 janvier 1943. Embarquée dans un convoi qui emporte deux cent trente
déportées politiques vers Compiègne, et qui repart le 24 janvier vers Auschwitz,
seul convoi de femmes déportées politiques parti vers cette destination. 85 %
des déportées sont des résistantes et quarante-cinq d’entre elles sont les
veuves de résistants fusillés. Le convoi arrive trois jours plus tard, le 27
janvier à Birkenau. Les Françaises entrent dans le camp en chantant la Marseillaise. Le 10 avril, deux mois et
demi plus tard, seules soixante-dix d’entre elles sont encore vivantes, dont
Charlotte qui a survécu au typhus. Le 3 août, les cinquante-sept survivantes
sont mises en quarantaine et mieux traitées, cinq d’entre elles meurent
néanmoins avant décembre. En janvier 1944, un an après le début de sa
déportation, Charlotte est envoyée à Ravensbrück, où elle est libérée par la
Croix Rouge internationale, le 23 avril 1945, après plus de deux années
d’internement. Agée de trente-et-un ans, la jeune femme, matricule 31 661, en
garde au cœur une myocardie parcellaire, qui la contraint à entrer en clinique
en 1946. Depuis sa chambre, elle écrit Aucun
de nous ne reviendra, qu’elle relègue dans un tiroir durant près de vingt
ans. Dans la foulée, elle rédige, aidée de ses amies survivantes, Le convoi du 24 janvier, notice
biographique de ses deux cent vingt-neuf compagnes de déportation.
Passée la cinquantaine, elle
publie la plupart de ses œuvres, récits, drames et poèmes. Celle qui est connue
pour sa gaîté et son goût du champagne, s’éteint un an avant Simone de
Beauvoir, victime d’un cancer, à soixante-douze ans.
Simone Marguerite Favre – Bertin, dite Silvia Monfort son alias de résistance, la benjamine des Panthéonistas, naît en 1923, Sarah
Bernhardt est morte deux mois et demi plus tôt. Auteure comme son auguste
devancière, amoureuse de théâtre avant tout, bien que le cinéma lui apporte la
célébrité, Silvia œuvre à offrir la culture à tous. Fille du sculpteur Charles
Favre – Bertin, élève précoce, bachelière à quatorze ans et demi, en 1939, la
jeune fille rencontre à seize ans, son futur mari, Maurice Clavel, dirigeant du
réseau de résistance d’Eure et Loir, sous le pseudonyme de Sinclair. Armée,
elle participe à la libération de Nogent-le-Rotrou et de Chartres en 1944, à
peine majeure quand elle accueille le général De Gaulle sur le parvis de la
cathédrale, qui lui remet lui même la Croix de guerre, comme le général Patton
lui offre la Bronze Star Metal.
L’année suivante, remarquée dans La casa de Bernarda Alba de F. Garcia
Lorca, elle intègre la distribution de L’Aigle
à deux têtes de Jean Cocteau, pièce qui entame une tournée internationale
assurant sa renommée. En 1946, Jean Vilar en fait sa Chimène, vingt-quatre ans,
pour le premier festival d’Avignon. Deux ans plus tard, elle interprète
l’adaptation cinématographique de L’Aigle
à deux têtes, et en 1955, à trente-deux ans, son allure juvénile lui permet
d’être Eponine dans les Misérables.
Sur les planches, comme Rachel et Sarah Bernhardt, avant elle, son plus grand
rôle est Phèdre, qu’elle joue pour la
première fois à trente-sept ans, en 1960, et pour la dernière à soixante-deux
ans. Résistante et actrice, Silvia est aussi romancière, metteur en scène et
directrice de théâtre comme Sarah Bernhardt.
Son théâtre itinérant, Les tréteaux de France, a pour vocation
d’ouvrir le théâtre à tous. A force de combat, Silvia obtient que le Monfort
soit installé dans le carré Thorigny, dans un quartier insalubre, celui qui l’a
vu naître, le Marais. Elle est lancée dans une adaptation de Sophocle et joue Electre quand Charlotte Delbo publie
enfin, en 1965, Aucun de nous ne
reviendra.
Silvia décède à soixante-huit ans
d’un cancer du poumon, en 1991, peu avant l’ouverture de son nouveau théâtre,
celui qui porte son nom Le Monfort-Théâtre.
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