samedi 11 avril 2015

19. Silvia Monfort


          Simone Marguerite Favre – Bertin, dite Silvia Monfort son alias de résistance, la benjamine des Panthéonistas, naît en 1923, Sarah Bernhardt est morte deux mois et demi plus tôt. Auteure comme son auguste devancière, amoureuse de théâtre avant tout, bien que le cinéma lui apporte la célébrité, Silvia œuvre à offrir la culture à tous. Fille du sculpteur Charles Favre – Bertin, élève précoce, bachelière à quatorze ans et demi, en 1939, la jeune fille rencontre à seize ans, son futur mari, Maurice Clavel, dirigeant du réseau de résistance d’Eure et Loir, sous le pseudonyme de Sinclair. Armée, elle participe à la libération de Nogent-le-Rotrou et de Chartres en 1944, à peine majeure quand elle accueille le général De Gaulle sur le parvis de la cathédrale, qui lui remet lui même la Croix de guerre, comme le général Patton lui offre la Bronze Star Metal.
L’année suivante, remarquée dans La casa de Bernarda Alba de F. Garcia Lorca, elle intègre la distribution de L’Aigle à deux têtes de Jean Cocteau, pièce qui entame une tournée internationale assurant sa renommée. En 1946, Jean Vilar en fait sa Chimène, vingt-quatre ans, pour le premier festival d’Avignon. Deux ans plus tard, elle interprète l’adaptation cinématographique de L’Aigle à deux têtes, et en 1955, à trente-deux ans, son allure juvénile lui permet d’être Eponine dans les Misérables. Sur les planches, comme Rachel et Sarah Bernhardt, avant elle, son plus grand rôle est Phèdre, qu’elle joue pour la première fois à trente-sept ans, en 1960, et pour la dernière à soixante-deux ans. Résistante et actrice, Silvia est aussi romancière, metteur en scène et directrice de théâtre comme Sarah Bernhardt.
Son théâtre itinérant, Les tréteaux de France, a pour vocation d’ouvrir le théâtre à tous. A force de combat, Silvia obtient que le Monfort soit installé dans le carré Thorigny, dans un quartier insalubre, celui qui l’a vu naître, le Marais. Elle est lancée dans une adaptation de Sophocle et joue Electre quand Charlotte Delbo publie enfin, en 1965, Aucun de nous ne reviendra.
Silvia décède à soixante-huit ans d’un cancer du poumon, en 1991, peu avant l’ouverture de son nouveau théâtre, celui qui porte son nom Le Monfort-Théâtre.




Silvia Monfort 1923  - 1991 


Monfort Silvia, Il ne m’arrivera rien 1946            
Monfort Silvia, La raia 1959
Monfort Silvia, Les Anes rouges, Julliard, 1966                       
Martinot-Lagarde T, Silvia Monfort, une vie de combat pour le théâtre, Cahiers d’une exposition, BnF, 2003
Piazza F., Silvia Monfort : Vivre debout, D. Carpentier, 2011
Les enfants terribles, Jean Cocteau, 1947
Médée, 1953, Ina
Le mariage de Figaro, présentation et pièce, in le Théâtre et l'Université, 1957
La complainte de Fantomas de Robert Desnos, 1960, Ina
Silvia Monfort et Alexis Gruss 1976, Ina 
Radioscopie Silvia Monfort/Jacques Chancel 1978, Ina
Tribunal des flagrants délires, 1981, Ina

18. Charlotte Delbo


      Charlotte Delbo nait en 1913, au cœur de l’été, trois ans après Simone de Beauvoir, dans une famille d’immigrés italiens. Autodidacte, bilingue en anglais, elle apprend la sténographie, comme Alice Guy avant elle. A vingt-et-un ans, la jeune femme entre dans les Jeunesses communistes et rejoint deux ans plus tard, en 1936, l’Union des jeunes filles de France, créée et dirigée par Danièle Casanova. Jeune mariée, elle fait des piges pour les journaux du Parti communiste dont ceux que codirige Andrée Viollis. Devenue l’assistante de Louis Jouvet, elle le suit en tournée jusqu’en Amérique latine. Lorsque la guerre éclate, et après la débâcle, Charlotte décide de laisser la troupe et de revenir par ses propres moyens en France, retrouvant son mari qui, entré dans la clandestinité, travaille pour ce qui devient les Lettres françaises. Elle prend sa relève au grade d’adjudant chef au titre de résistance française. Cinq mois avant les rafles du Vel d’hiv et avant le débarquement en Afrique du Nord, le 2 mars 1942, le réseau auquel appartient Charlotte tombe, son mari, Danielle Casanova, Jacques Decour, les époux Vaillant-Couturier et elle-même sont interpellés, torturés et transférés à la Santé. Son mari est fusillé, deux mois plus tard, au Mont Valérien. Charlotte a fêté ses vingt-neuf ans depuis deux semaines, quand le 24 août elle est transférée de la prison de la Santé au camp de Romainville, où elle reste jusqu’au 20 janvier 1943. Embarquée dans un convoi qui emporte deux cent trente déportées politiques vers Compiègne, et qui repart le 24 janvier vers Auschwitz, seul convoi de femmes déportées politiques parti vers cette destination. 85 % des déportées sont des résistantes et quarante-cinq d’entre elles sont les veuves de résistants fusillés. Le convoi arrive trois jours plus tard, le 27 janvier à Birkenau. Les Françaises entrent dans le camp en chantant la Marseillaise. Le 10 avril, deux mois et demi plus tard, seules soixante-dix d’entre elles sont encore vivantes, dont Charlotte qui a survécu au typhus. Le 3 août, les cinquante-sept survivantes sont mises en quarantaine et mieux traitées, cinq d’entre elles meurent néanmoins avant décembre. En janvier 1944, un an après le début de sa déportation, Charlotte est envoyée à Ravensbrück, où elle est libérée par la Croix Rouge internationale, le 23 avril 1945, après plus de deux années d’internement. Agée de trente-et-un ans, la jeune femme, matricule 31 661, en garde au cœur une myocardie parcellaire, qui la contraint à entrer en clinique en 1946. Depuis sa chambre, elle écrit Aucun de nous ne reviendra, qu’elle relègue dans un tiroir durant près de vingt ans. Dans la foulée, elle rédige, aidée de ses amies survivantes, Le convoi du 24 janvier, notice biographique de ses deux cent vingt-neuf compagnes de déportation.
Passée la cinquantaine, elle publie la plupart de ses œuvres, récits, drames et poèmes. Celle qui est connue pour sa gaité et son goût du champagne, s’éteint un an avant Simone de Beauvoir, victime d’un cancer, à soixante-douze ans.




Charlotte Delbo 1913-1985


Delbo Charlotte, Qui rapportera ces paroles ?, tragédie en trois actes, P.-J. Oswald, Paris, 1974.
Delbo C., Aucun de nous ne reviendra, éd. de minuit, 2007
Delbo C., Le convoi du 24 janvier, éditions de minuit, 2002
Gelly Violaine, CharlotteDelbo, Fayard, 2013 
Hatzfeld J. L'urgence Charlotte Delbo in Le Monde Mai 2013
Mesnard Philippe, Témoigner entre histoire et mémoire, Kimé 2010
Dargnies S. Une vie, une oeuvre. Charlotte Delbo, France culture 2013
Varier Zoé, Charlotte Delbo, et 2de partie France inter, 2013

17. Simone de Beauvoir

Physiquement, Madame de Beauvoir a le gros mérite de s’écarter du type femme de lettres, à mine pointue et teint triste. Jeune vive, une voix plaisamment éraillée, le cheveu noir et l’œil de Delft, le visage clair et le soulier plat, elle aime le voyage et la discussion ; les quarante kilomètres à pied dans la journée et les quarante heures de discussion quand la discussion l’intéresse. Sur Simone de Beauvoir, agrégée de philosophie depuis 1929, on a raconté des tonnes de salades. Simone de Beauvoir et Sartre devraient consommer gratis dans tous les bistrots qu’ils ont lancés.
In Manuel de Saint-Germain-des-Près. Boris Vian

Simone Bertrand de Beauvoir naît en janvier 1908. Professeure de philosophie, elle n’aime pas Georges Sand, loue Hubertine Auclert et ses luttes solitaires, même si elle juge durement sa focalisation sur le suffragisme. Simone peut voter pour la première fois à trente-sept ans, Hubertine jamais.
Si l’on n’est pas aimable, reste la littérature et le simple plaisir de respirer. La Première guerre est fatale à la fortune et à l’honneur de la famille de Beauvoir, Simone a dix ans. Cinq ans plus tard, elle décide qu’elle sera un écrivain célèbre. En 1925, un an après l’harmonisation des programmes secondaires masculins et féminins ouvrant à toutes les jeunes filles le baccalauréat, elle en est lauréate à dix-sept ans, entamant en parallèle des études de lettres et de sciences. Licenciée à vingt ans, elle est encore mineure, lors de sa rencontre avec Sartre et Nizan. L’année suivante, celle de sa majorité elle est reçue deuxième de l’agrégation de philosophie dont Sartre est major. Bisexuelle, elle est renvoyée du lycée Molière, en 1939, à la suite d’un scandale lié à sa relation avec l’une de ses élèves. La sanction tombe en 1941, une suspension pour excitation à la débauche sexuelle, Simone a trente-trois ans. Les années passent Simone écrit l’Invitée. Toute la France est occupée, les convois de déportés se multiplient, Charlotte Delbo tente de survivre depuis deux ans à Ravensbrück, les activités de Rose Valland manquent d’être repérées et Joséphine Baker chante sur le front nord africain.
A la Libération, Simone devient compagnon de route du Parti communiste français, peu après, en pleine crise de Berlin, à quarante-et-un ans, l’écrivaine connaît la consécration avec le 2ème sexe vendu à 22 000 exemplaires dès la première semaine de sa sortie. Le livre est mis à l’Index par le Vatican ; les ventes explosent.  Les Etats-Unis font un triomphe à l’ouvrage qui se vend à un million d’exemplaires, fait l’effet d’une bombe sur la société, et remet en cause la construction du féminin par le corps social, dans la foulée son roman Les Mandarins est distingué par le Prix Goncourt. Elle se bat aux côtés de Gisèle Halimi et d’Elisabeth Badinter, pour la reconnaissance des violences faites aux femmes et pour revendiquer le droit à l’avortement. Avec mai 1968, son engagement féministe est de plus en plus radical, tout en montrant un intérêt grandissant pour le sujet de l’avancée en âge. Simone signe le Manifeste de 1971 en plein combat pour la légalisation de l’avortement. En 1986, le Castor, qui parlait de bouche à oreille à ses lecteurs, s’éteint à soixante dix-huit ans. Ses funérailles sont suivies par plus de cinq mille personnes.




Simone de Beauvoir 1908-1988


Beauvoir S., Le deuxième sexe, Gallimard, réédition, 2010
Deguy Jacques, Simone de Beauvoir, Gallimard, 2008
Frain Irène, Beauvoir in love, M. Lafon, 2012
Fraisse G., Le privilège de Simone Beauvoir, Actes Sud, 2008
Francis Claude, Simone Beauvoir, Perrin, 2006
Golay Annabelle Martin, Beauvoir intime et politique : La fabrique des Mémoires, Presses Univ. du Septentrion, 2013.
Monteil Cl., Simone de Beauvoir et les femmes aujourd'hui, Odile Jacob, 2011
Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, 1948, Prix Goncourt, 1954, Pourquoi je suis féministe ? 1975, Obsèques de Simone de Beauvoir, 1988, in Ina
Prix Simone de Beauvoir
Simone de Beauvoir, photographies, in Paris en Images


16. Joséphine Baker

       Joséphine Baker naît Freda Joséphine MacDonald, en 1906 à Saint-Louis aux Etats-Unis. Reconnue par son beau-père, Joséphine, placée chez des blancs dès ses huit ans, est maltraitée. A onze ans, elle assiste aux grandes émeutes de Saint-Louis, où trente-neuf noirs sont tués. Au terme de l’insurrection et de sa répression, les sans-abris se comptent par milliers. L’enfant fuit le foyer familial par un mariage à treize ans, ce qui ne l’empêche pas d’être ouvertement bisexuelle toute sa vie. Divorcée avant ses quatorze ans, elle intègre une troupe de danse itinérante. A Philadelphie, elle rencontre Willie Baker, qu’elle épouse en 1921, à quinze ans. Rêvant des lumières de Broadway, elle quitte son second mari, part pour New York, où la femme de l’attaché commercial de l’ambassade des Etats-Unis l’intègre à La Revue Nègre pour se produire à ParisA dix-neuf ans, Joséphine est l’une des huit chorus girls du spectacle. La première, en 1925, sept ans après la fin de la Première guerre, entre scandale et succès avant-gardiste, lance la carrière de la jeune créole. Posant pour les artistes impécunieux, modèle de Poiret enthousiasmé par son corps libre et félin, la jeune femme est la coqueluche du tout Paris ayant même une pommade plaquante de cheveu à son nom, la Bakerfix. Après une mouvementée tournée européenne, elle chante aux Folies Bergères accompagnée d’un léopard et contribue à la préface de Tumulte Noir publié en 1927.
Depuis que la Revue Nègre est arrivée au Gai Paris, je dirais qu'il fait de plus en plus noir à Paris. D'ici peu, il fera tellement noir qu'on craquera une allumette, puis on en craquera une autre pour voir si la première est allumée ou non.
En 1931, à vingt-cinq ans, elle susurre J’ai deux amours, véritable triomphe, le music-hall assure son fastueux train de vie. Très généreuse, elle participe à de nombreuses œuvres, notamment durant la crise. Joséphine est naturalisée en 1937.
Dès le début de la Seconde guerre, la jeune femme chante pour la Croix Rouge à ses frais, tout en étant un agent du contre-espionnage, avant d’intégrer les forces féminines de la France Libre, malgré de graves problèmes de santé. Comme Rose Vallant, à la Libération Joséphine est distinguée par la Croix de guerre, la médaille de la Résistance et la Légion d’honneur.
Après son troisième mariage, en 1947, à quarante-et-un ans, la belle métisse adopte des enfants du monde entier, créant une famille difficile à gérer et vite privée de père.
En 1963, entrée dans la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, Joséphine participe en VIP à la marche de Washington de Martin Luther King, où vêtue de son uniforme des Forces Françaises Libres, arborant ses médailles, fière de la reconnaissance française par delà la couleur, elle représente officieusement la France lors de ce moment historique.
Totalement impécunieuse, expulsée de son château en 1969, elle est accueillie par sa compatriote Grace Kelly, devenue princesse de Monaco. Remontant sur scène pour des galas jusqu’à ses soixante-neuf ans, elle décède quelques heures après une représentation à Bobino.
Lors de ses funérailles, les honneurs militaires lui sont rendus. La femme aux deux amours a pour ultime requête que les fleurs destinées à sa sépulture soient recueillies pour fleurir la tombe du soldat inconnu.

Vivre, c’est danser et j’aimerais mourir haletante, épuisée, à la fin d’une danse.


Joséphine Baker 1906-1975


Les mémoires de Joséphine Baker recueillies par Marcel Sauvage, Paris, Colin, 1927
Baker Joséphine et Bouillon Jo, Joséphine, R. Laffont, 1976
Barbier M. Tumpie, dite Joséphine Baker, Ed. Alan Sutton, 2005
Colin Paul, Joséphine Baker et la Revue nègre, la Martinière, 1998
Onana Charles, Joséphine Baker contre Hitler 2006
Pessis Jacques, Joséphine Baker, Folio, 2007
Rose Phyllis, Joséphine Baker : une Américaine à Paris, Fayard, 1990
Joséphine Baker, photographies, in Paris en images
Joséphine Baker, enregistrements sonores, in Gallica, BnF
Les artistes sous l'occupation in L'Histoire par l'image


15. Maryse Hilsz

Vient l’escadron des aventurières de l’air qui, quand elles ont survécu à leurs aventures aériennes, sont plus qu’à leur tour entrées dans la Résistance, parmi elles, Maryse Bastié et sa consœur et concurrente, Maryse Hilsz, issue elle d’une famille très modeste, s’engouffre dans l’aventure aérienne. Née en 1901, simple modiste, elle s’inscrit à vingt-trois ans dans un concours de parachutisme alors qu’elle n’est jamais montée dans un avion. Multipliant les sauts d’exhibitions pour financer son brevet, elle est considérée comme une femme d’action élégante et à forte personnalité. Virtuose en très peu de temps, elle réalise en 1930, un an après avoir obtenu son brevet, le record de longue distance Paris-Saigon-Paris, là où Hélène Boucher déclare forfait. Trois ans après Saigon, elle augmente son record de distance et de vitesse par un Paris-Tokyo-Paris. Dans la foulée, elle améliore son record d’altitude en avion à hélice avec 14 310 m, jamais égalé pas une femme. Maryse pilote et répare seule son avion. En décembre 1937, la jeune femme bat le record de vitesse masculin Paris-Saigon, effectuant le vol en quatre jours. En 1941, elle entre dans la Résistance. A la Libération, le ministre de l’air communiste crée un corps français de pilotes femmes à l’image de celui existant en Urss, mais le recrutement prend fin dès 1946. Maryse, sous-lieutenant de l’armée, trouve la mort dans ses fonctions, à quarante-cinq ans.


Maryse Hilsz 1901-1946


Bastié Maryse, Ailes ouvertes : carnet d’une aviatrice, 1937
Bastié Cédric, L'Aventure Maryse Bastié, Éditions Nouvelles, 2007
Clément Virginia, Maryse Bastié, 1956
Marck Bernard, Elles ont conquis le ciel, Éditions Arthaud, 2009
            Vice-amiral Amanrich, Une française, Maryse Bastié, 1953
  

14. Rose Valland


    En 1898, Rose Valland naît en pleine affaire Dreyfus, neuf mois plus tôt l’Aurore publiait J’accuse. Née le jour de la Toussaint, Rose, fille d’un charron et maréchal ferrant, entre à seize ans à l’école normale d’institutrices. Formée durant la guerre, douée pour les Beaux-arts, elle part à Lyon où elle reçoit de nombreux prix. A vingt-quatre ans, elle est admise aux Beaux Arts de Paris, et peut, neuf ans plus tard, soutenir une thèse à l’Ecole du Louvre sur l’Art italien jusqu’à Giotto. Rose parle parfaitement l’allemand et sillonne l’Italie.
Depuis 1932, et ses trente-quatre ans, la jeune femme est attachée bénévole à la Galerie nationale du Jeu de Paume, où elle est salariée et titularisée neuf ans plus tard. Paris est occupé depuis plus d’un an, quand Jacques Jaujard l’attache aux œuvres spoliées par les nazis dont le Jeu de Paume est le dépôt central. Durant quatre années, Rose enregistre tous les transferts effectués, collectant les carbones jetés dans les poubelles, fournissant des informations à la résistance sur les convois d’œuvres d’art et informant les Américains des lieux de stockage afin d’éviter leur bombardement. Le 24 novembre 1944, elle intègre la Commission de récupération artistique qui n’est dissoute qu’en 1949, vivant en zone d’occupation en Allemagne afin de mener à bien ce travail, qui la conduit à témoigner au procès de Nuremberg. Elle y rencontre Joyce Heer, interprète de l’ambassade des Etats-Unis, qui est sa compagne durant trente ans. De retour en France, elle est nommée chef du service de la protection des œuvres d’art et deux ans plus tard, à cinquante-sept ans, conservatrice des musées nationaux. En 1961, son autobiographie, Front de l’art, connaît le succès et inspire le film, Le train. Retraitée en 1968, Rose vaque toujours à la restitution des œuvres spoliées jusqu’à son décès à quatre-vingt deux ans, en 1980.


Rose Valland 1898-1980


Valland Rose, Le front de l’art, Plon 1961, et RMN-Grand Palais, 2014
Bouchoux Corinne, Rose Valland, résistance au musée, 2006
            Catel, Bouhac, Pollack, 
Rose Valland, CapitaineBeaux-arts, Dupuis, 2009
Edsel, Robert, M. Monuments men, Gallimard, 2014
Pollack E., Dagen P. et Bonnefoy F., Les Carnets de Rose Valland, 2011
Sprang P., Rose Valland, un monument de résistance, in Paris Match, fév. 2014
Rose Valland in Ina
Cap. Rose Valland, in Monuments Men Fondation



13. Paulette Nardal

Paulette Nardal naît, en 1896, trois ans après Louise à des milliers de kilomètres de l’Hexagone, en Martinique, là où est née près d’un demi-siècle plutôt Sophie Lumina. Issue d’une famille modeste mais cultivée, aînée de sept sœurs, Paulette devenue institutrice, part pour la métropole à vingt-quatre ans, où elle souhaite étudier l’anglais à la Sorbonne ce qui n’exclu pas une fréquentation assidue du bal nègre. Licenciée d’anglais, elle se fait journaliste, approchant les écrivains du Harlem Renaissance et tenant salon avec deux de ses sœurs, dans son appartement de Clamart, où les réunions bilingues se multiplient afin de créer des liens entre écrivains noirs de tous horizons. Paulette, sa sœur Andrée et le haïtien Leo Sajous fondent La Revue du Monde Noir. Revue bilingue et tribune noire à laquelle contribuent Claude McKay, Langston Hughes et Léopold Sedar Senghor, tout comme l’ethnologue allemand Leo Frobenius. La jeune femme fonde un mouvement précurseur de la Négritude. La devise de la revue est : Pour la paix, le travail et la justice, par la liberté, l’égalité et la fraternité. En 1932, après six numéros, l’aventure s’achève. Mais le mouvement est lancé. Césaire et Senghor ont repris les idées que nous avons brandies et les ont exprimées avec beaucoup plus d'étincelle. Nous n'étions que des femmes. Nous avons balisé les pistes pour les hommes. 
Paulette part au Sénégal en 1937, à quarante-et-un ans, sur l’invitation de Senghor. Après avoir tenté de mobiliser contre l’invasion de l’Ethiopie, membre de la SDN, par Mussolini, elle est victime, en 1939, d’un naufrage dû au torpillage de son navire par un sous-marin allemand au large de l’Angleterre qui la laisse handicapée. Elle retourne en Martinique, où nombre de jeunes rejoignent la Résistance en passant par les îles anglophones. Paulette leur donne clandestinement des cours d’anglais afin qu’ils puissent être opérationnels dès leur arrivée. A la Libération, elle sensibilise les femmes martiniquaises à la politique en créant le Rassemblement Féminin, incitant les femmes de tous milieux à se servir du droit de vote, ainsi que la revue La femme dans la cité. Elle a quarante-neuf ans lorsqu’elle glisse pour la première fois un bulletin de vote dans une urne. La création de crèches et l’aide aux filles-mères sont ses priorités dans les décennies suivantes. L’année du centenaire de l’abolition de l’esclavage et de la naissance de Surprise, Paulette inventorie la tradition musicale des campagnes martiniquaises, le Bèlè et le Ladjia disparaissant face à la concurrence du jazz. Le 16 février 1985, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, Paulette s’éteint.


Paulette Nardal 1896-1985


Confavreux Joseph, Paulette Nardal, in collection Nos Histoires, documentaire, Point du jour, 2009




vendredi 10 avril 2015

12. Louise Weiss

Née en 1893, seize ans après Cécile Brunschvicg, Louise Weiss est alsacienne et descend par son père d’une famille protestante d’ingénieurs des mines et par sa mère d’une riche famille juive allemande et tchèque installée à Seppois-le-Bas. Cette année-là Séverine écrit ses Pages rouges et Maria Deraismes fonde la première loge maçonnique mixte, le Droit humain. Comme Cécile, Louise est élève de lycée contre l’avis paternel. Agrégée de lettres, diplômée d’Oxford, comme Andrée Viollis, la jeune femme s’oriente vers le journalisme, fréquentant les exilés tchèques et slovaques avec qui elle développe son intérêt pour les relations internationales. Pacifiste convaincue, elle devient infirmière en Bretagne, en 1914 là où sa famille est réfugiée. Après guerre, empreinte de l’esprit de la Société des Nations, proche d’Aristide Briand et cherchant à rapprocher la France et l’Allemagne, elle fonde et dirige la revue L’Europe nouvelle de 1920 à 1934 et dans la même dynamique l’association Femmes nouvelles qui compte plus de dix mille adhérentes.
Elle lance à la même époque une vaste campagne pour le suffrage des femmes et se présente aux législatives de 1936, dans la lignée de Marguerite Durand, Hubertine Auclert et Madeleine Pelletier. Louise, en maîtresse de la communication, organise des actions très médiatiques ; un tour de France, auquel participent les aviatrices Hélène Boucher et Maryse Bastié, stars du moment, un lâcher de ballons rouges, avec des tracts féministes lors de la finale de la Coupe de France de football, une distribution de myosotis, fleurs du souvenir, le 1er juin aux nouveaux députés et le lendemain des chaussettes, portant l’inscription, Même si vous nous donnez le droit de vote, vos chaussettes seront raccommodées, aux sénateurs, l’assaut de la piste du Grand Prix de Longchamp par des militantes brandissant des pancartes, La Française doit voter.
En 1939, à quarante-six ans, Louise est nommée Secrétaire générale du Comité pour les réfugiés d’Allemagne et d’Europe centrale. Lors de l’invasion allemande, elle est à New York, où elle reste jusqu’en 1941, soutenant brièvement Pétain avant d’entrer dans le réseau Patriam Recuperare, où elle joue un faible rôle. A la Libération, elle vote pour la première fois à cinquante-trois ans, couvre le procès de Nuremberg, fonde l’institut de polémologie, parcourt le monde, réalise un grand nombre de films documentaires et publie, Ce que femme veut.
En 1971, à soixante-dix-huit ans, la suffragiste fonde l’Institut des sciences de la paix, s’engage dans les premiers projets d’Union européenne et contribue à la création du Parlement européen. A quatre-vingt-six ans, la vieille dame prononce le discours d’ouverture de la première session du nouveau parlement dont la présidence paraît devoir lui revenir, avant que ne la devance la jeune Simone Veil, âgée de cinquante-deux ans. Décédée quatre ans plus tard, Louise repose dans le même cimetière que Rosa Bonheur, là où se dressait l’abbaye de Port Royal.



Louise Weiss 1893-1983


Weiss Louise,
Mémoires d’une Européenne, Albin Michel, 1978
Le fond et la forme, Mémoires d'une Européenne, in Ina
Jomy Alain, Louise Weiss, une femme d’influence, 2003Berlin Célia, Louise Weiss, Albin Michel, 1999

Discours de Louise Weiss au Parlement européen, in Ina

L'homme en question, 1978, in Ina

Panorama, Quand les femmes ne votaient pas, 1969, in Ina

Radioscopie, Louise Weiss-Jacques Chancel, 1, 2, 34 et 5, 1980, in Ina

Louise Weiss, photographies, in Paris en images


11. Cécile Brunschvicg

         Cécile Brunschvicg naît Cécile Kahn, cinq jours après le quatorze juillet 1877. Marguerite Durand est depuis deux ans au Conservatoire, Louise Michel est en Nouvelle Calédonie depuis quatre ans, Rachel est morte depuis vingt ans. Née dans une riche famille juive républicaine, elle obtient à dix-sept ans son certificat d’études supérieures, préparé en secret car son père, industriel alsacien, est opposé aux études féminines. Cécile âgée de vingt-deux ans rencontre Léon Brunschvicg de dix ans son aîné, philosophe féministe, vice président de la Ligue des électeurs pour le suffrage des femmes, qu’elle épouse. Ses engagements politiques se forgent dans la lutte dreyfusarde, tout en donnant le jour à quatre enfants. En 1909, elle adhère à l’Union française pour le Suffrage des femmes, dont elle est la Secrétaire générale durant vingt-deux ans à partir de 1924, cent ans après la naissance de Jeanne Daubié. L’un de ses chevaux de bataille est la mise en place d’une école mixte, ayant les mêmes programmes et offrant les mêmes diplômes quel que soit le sexe des candidats. Durant la Première guerre mondiale, elle participe au relogement des réfugiés, aide à la création de centres sociaux et de l’Ecole des surintendantes d’usine. En 1926, elle prend la direction de La Française, hebdomadaire de l’Union française pour le suffrage des femmes, où elle publie de nombreux articles. Dix ans plus tard, lors de l’avènement du Front populaire, Cécile, attachée à l’Education nationale sous la tutelle de Jean Zay, est l’une des trois femmes nommées sous-secrétaires d’Etat par Léon Blum. Durant la guerre, plutôt que de fuir à l’étranger, elle reste en France où, cachée dans le midi, elle est professeure dans un pensionnat. A la Libération, affaiblie, l’ex sous-secrétaire d’Etat reconstitue pourtant l’Union française pour le suffrage des femmes et prépare les élections municipales de 1945, où elle vote à soixante-huit ans pour la première fois, un an avant son décès.




Cécile Brunschvicg 1877-1946


Inventaire des archives de Cécile Brunschvicg, Bibliothèque universitaire d’Angers
Formaglio Cécile, Le féminisme de Cécile Brunschvicg (1877-1946), site Thèses de l’Ecole de chartes, 2006 et in Archives du féminisme
Pichon Muriel, Cécile Brunschvicg née Kahn, féministe et ministre du Front populaire, in Archives Juives 2012/1 vol 45 p.160
Le féminisme réformiste in L'Histoire par l'image


10. Madeleine Pelletier

Madeleine Pelletier naît deux mois après Alice Guy en 1874, dans un milieu indigent. Son père, cocher de fiacre, est paralytique dès ses quatre ans et sa mère, qui tient une échoppe de fruits et légumes, se dit fille illégitime d’un noble, professant un royalisme et un catholicisme fanatiques. Des douze enfants du couple seuls deux survivent, Madeleine et son frère aîné. Brillante élève d’une école catholique, elle la quitte volontairement à douze ans contre l’avis des religieuses, se voulant déjà différente. Autodidacte lisant énormément, elle commence à fréquenter les anarchistes et, à seize ans, la jeune fille décide d’étudier seule et obtient sept ans plus tard, le baccalauréat avec la mention Très Bien. Elle est des cent vingt-neuf femmes assises sur les bancs de la faculté de médecine, dont cent sont étrangères, parmi les quatre mille cinq cents étudiants. Boursière du Conseil de Paris, la brillante étudiante, qui est la seule de l’amphithéâtre à lire des journaux dreyfusards, dont La Fronde de Marguerite Durand, s’oriente vers la psychiatrie. A vingt-huit ans, en 1902, une génération après Marguerite Bres, Madeleine est interdite de concours à l’internat dans le service psychiatrique hospitalier, car il faut jouir de ses droits civils et politiques, pour l’intégrer. Objet de la première campagne féministe de La Fronde, et d’un âpre débat  auquel la loi ne résiste pas, Madeleine, à vingt-neuf ans, passe avec succès le concours, ceci faisant d’elle la première femme interne des asiles psychiatriques de la Seine, sans revenu elle cumule les activités de son cabinet médical avec des responsabilités d’urgentiste de nuit et de médecin fonctionnaire des PTT pour survivre.
La docteure, valorisant la virginité et le célibat militant, anarchiste à ses heures, est rejetée par ses camarades de lutte et par beaucoup de féministes car non seulement elle s’habille en homme et porte les cheveux courts, mais elle revendique un sens éminemment politique à ce geste. Si je m’habille comme je le fais c’est surtout parce que je suis féministe ; mon costume dit à l’homme : Je suis ton égale. Entrée dans la franc-maçonnerie par anticléricalisme, à trente ans, Madeleine se lie d’amitié avec Louise Michel, dont elle suit le cortège funèbre en première place aux côtés de Séverine. De 1906 à 1914, Madeleine écrit sans discontinuer pour des revues féministes, socialistes et révolutionnaires, tout en tentant d’organiser le militantisme féministe. En 1907, paraît son article Les facteurs sociologiques de la psychologie féminine, où, avant Simone de Beauvoir et reprenant Hubertine Auclert, elle démontre que l’on ne naît pas femme mais qu’on le devient, en concevant le rapport entre les sexes comme un rapport social.
Très impressionnée par les suffragistes anglaises, elle décide de franchir le pas et de lutter pour le suffrage des femmes. Lors des législatives de 1910, comme Marguerite Durand et Hubertine Auclert, Madeleine est candidate, sous les couleurs du Parti Socialiste qui la présente dans une circonscription perdue d’avance mais où elle obtient néanmoins 4 % des voix. A la veille de la Première guerre mondiale, elle est la féministe la plus connue de France et a, en sus, une aura internationale, ce qui lui permet de se présenter à nouveau aux élections en 1912. Mais l’étrangeté et l’intransigeance de sa forte personnalité dérangent, sans compter le scandale suscité par la brochure publiée en 1911, Le droit à l’avortement. L’indignation est unanime tant du côté socialiste que féministe d’autant que l’auteure pratique elle-même des IVG. Lors de la déclaration de guerre, interdite d’exercice sur le front, comme toutes ses consœurs médecins, elle s’engage dans les rangs de la Croix-Rouge afin de donner des soins aux blessés, tout en tenant un journal de guerre.
L’entre-deux-guerres et sa grande offensive pro-nataliste, mettent à mal Madeleine qui, à déjà près de cinquante ans, est envoyée devant les tribunaux d’assises plus d’une fois pour avoir pratiqué des IVG. Très en vue, elle adhère au Mouvement Amsterdam-Pleyel contre la guerre. De nouveau accusée, elle est victime d’un AVC et traînée devant les tribunaux. Jugée irresponsable, elle est néanmoins désignée comme un danger pour elle-même, pour autrui et pour l’ordre public, et condamnée à être internée, car elle ne correspond pas au modèle de mère et d’épouse. La docteure meurt de désespoir sept mois plus tard, le 29 décembre 1939, à soixante-cinq ans, là où elle avait fait son internat. Six ans plus tôt, elle avait publié son autobiographie, La femme vierge.


Madeleine Pelletier 1874-1939


Pelletier Madeleine, L'émancipation sexuelle des femmes, 1911, in Gallica, BnF
Pelletier Madeleine, Monvoyage aventureux en Russie communiste, 1922
Pelletier Madeleine, La femme vierge, autobiographie, 1933 
Bard Christine, Les filles de Marianne. Histoire des féminismes 1914-1940, Paris, Fayard, 1995 
Bard Christine, sous la direction de, Madeleine Pelletier (1874-1939). Logique et infortunes d’un combat pour l’égalité, Paris, Côté-Femmes, 1992
Maignien Claude, Madeleine Pelletier, une féministe dans l’arène politique, éd. de l’Atelier, 1992
Sowerwine Charles et Magnien Claude, Madeleine Pelletier, une féministe dans l’arène politique, Les Editions Ouvrières, Collection « La part des hommes », 1992

Madeleine Pelletier, photographies, in Paris en images



           

9. Alice Guy


Si Anna Amieux dans l’ombre de Marie Curie promeut les sciences, Alice Guy Blaché est la femme de l’invention révolutionnaire du tournant du siècle, le cinématographe. Elle naît en 1873, quand Sarah Bernhardt, à trente ans, triomphe dans Phèdre, et Louise Michel vogue vers la Nouvelle Calédonie. Après des études de sténographe, Alice qui est polyglotte, réalise, à vingt-et-un ans, son premier court métrage Esméralda et deux ans plus tard, le premier film de l’histoire comportant des effets spéciaux, La fée aux choux, qui connaît le succès. Embauchée chez Gaumont en tant que secrétaire, la jeune fille se mue en scénariste et réalisatrice, son patron, à peine plus vieux qu’elle, lui laissant carte blanche, la jeune fille tourne ainsi une centaine de films entre 1900 et 1909, enthousiaste incorrigible, tentant toutes les innovations, de la couleur aux effets sonores, vingt ans avant le premier film parlant étatsunien. Le succès est là dès 1906, avec La Passion du Christ, premier péplum de l’histoire du cinéma. A trente-trois ans, Alice rencontre Herbert Blaché, directeur de la Gaumont à Berlin. Tous deux sont envoyés en 1907 à Long Island pour observer les évolutions du cinéma. Installée aux Etats-Unis, elle fonde la Solax, son propre studio, ce qui fait d’elle la première créatrice d’une société de production outre-Atlantique. Ses films américains connaissent un tel succès, que dès 1912, elle est la seule femme du pays gagnant plus de 25 000 dollars par an. A quarante-et-un ans, riche, célèbre, enceinte, directrice du studio le plus important du pays, référence du milieu cinématographique, elle pousse l’audace jusqu’à tourner en extérieur et à donner cet ordre révolutionnaire aux acteurs : Soyez naturel !
Ses conférences sur les droits des femmes sont prisées ainsi que les deux fables féministes qu’elle réalise. Néanmoins comme pour toutes les épouses, comme George Sand avant elle, son mari est le propriétaire de ses biens et des dividendes de son travail. Herbert, pour fonder la Blaché picture, vend, sans l’en informer, à vil prix, un des films de sa femme qui est un grand succès. Le couple se sépare, Alice, privée de sa maison de production, réalise des longs métrages pour d’autres compagnies. Le divorce est prononcé en 1918. En un temps où les compagnies indépendantes disparaissent, la productrice fait de mauvais choix en refusant des associations intéressantes. Ruinée, elle vend à perte son studio ainsi que tous ses biens et revient en France à quarante-neuf ans. Oubliée, elle s’installe chez sa sœur, et écrit des contes pour enfants. Ses films disparaissent peu à peu. A la fin de sa vie, Alice décide de réunir les bobineaux de son œuvre. En 1995, cinquante de ses films sur les sept cents de sa production sont retrouvés. La vieille dame meurt à quatre-vingt-quatorze ans, deux mois avant mai 1968. Son autobiographie est publiée peu après.

 

Alice Guy-Blaché 1878-1963


Guy Alice, Autobiographie d’une pionnière du cinéma, (1873-1968) Denoël Gonthier, 1976
Chocron Daniel, Alice Guy, pionnière du cinéma, Le Jardin d'Essai, 2013
La Fée aux choux , film, 1896
Madame a des envies, film, 1907



8. Anna Amieux



Issue d’une modeste famille protestante lyonnaise, la brillante et précoce Anna Amieux, née un mois après la fin de la Commune de Paris, obtient son diplôme de fin d’études secondaires au lycée de Lyon, intègre l’École de Sèvres à dix-huit ans et en sort agrégée de sciences à peine majeure.  Fille d’un employé des chemins de fer, elle finit sa carrière dans le fauteuil de directrice de l’École de Sèvres. Loin du monde et des privilèges d’Andrée Viollis, qui entre à l’Université et vit dans un milieu qui peut défier les normes sociales, Anna, devant suivre des règles strictes de moralité, fait carrière mais n’a ni mari ni d’enfant. Son ascension à l’intérieur d’une institution des plus rigides, par son talent, son initiative et sa volonté d’améliorer le sort de ses semblables, la porte à un poste de direction en un temps record. Anna aspire à modifier le regard posé sur les femmes par la société afin que la condition de la Française change.
Je crois que les jeunes filles françaises de classe moyenne, pour qui les lycées ont été fondés, sont actuellement les plus mal partagées. Si l’on excepte le petit nombre de celles qui, riches, ont presque la certitude d’être recherchées pour le mariage dans leur milieu, on peut dire que les autres, par prévoyance ou par nécessité immédiate, doivent s’assurer un gagne-pain. Quand elles se mettent à l’ouvrage, déjà possédées par ce besoin de dévouement inhérent à leur nature, elles ne peuvent choisir qu’entre un petit nombre de carrières, elles sentent qu’on ne les encourage pas, qu’on les regarde souvent agir sans intérêt, comme « des êtres qui manquent leur vie » et à qui plus tard, le cas échéant, on reprochera de n’avoir pas de foyer. Les mieux douées ou les plus favorisées du sort font leur trouée dans le monde par le travail ou le mariage, les autres végètent, luttent, révoltées ou résignées, souffrent, s’étiolent. Le tableau est sombre, sans l’être trop.
Encouragée par ce qu’elle a vu lors de son voyage américain, financé par le mécène humaniste Albert Kahn, Anna souhaite changer la place des femmes instruites en France, ce qui n’est possible qu’en changeant la société et l’enseignement.
Cet état de choses, cruel pour les individus, est mauvais pour le pays qui perd ainsi de réelles sources d’énergie. Est-il sans remède ? Le remède doit venir, je crois de deux côtés : de la société et des femmes. La société pourrait : 1° Modifier les idées sur les conditions du mariage.
      2° Accepter ce fait que certaines femmes sont obligées de vivre seules et qu’elle doit les aider, les encourager à se créer une existence indépendante, honorée et utile. Je crois aussi que les jeunes filles doivent être averties de l’alternative qui les attend et préparées à l’une et l’autre vie. Cette préparation a son point de départ dans la famille, mais l’école peut et doit intervenir. 
Ce n’est pas trop lui demander que d’être le début de la vie vraie.
Ainsi durant la Première guerre mondiale, dix ans après son séjour américain, la brillante Anna, offre aux jeunes scientifiques françaises les premières carrières d’ingénieurs, en créant dans une annexe du lycée Jules Ferry une section d’élite préparant l’entrée à l’École Centrale des Arts, la seule école masculine dont le règlement est évasif quant au sexe des candidats. Huit jeunes filles formées dans son établissement concourent sur fond de polémique. Sept sont admissibles et quatre sont admises dont la major de promotion. Jusqu’en 1923, de trois à quatre élèves féminines entrent, chaque année, dans l’antre de la science faite homme grâce aux initiatives d’Anna. Le coup d’éclat la promeut directrice de l’École de Sèvres,  elle a quarante-huit ans. Par les voies scientifiques et pédagogiques d’excellence sa vie durant, Anna s’est engouffrée dans chacune des brèches où il lui a été possible d’agir pour l’instruction et la progression des femmes et de la science, en rêvant d’égalité, suffragiste Anna vote pour la première fois à soixante-quatorze ans et s’éteint dix-huit ans plus tard, à quatre-vingt-douze ans.



Anna Amieux 1871-1963






7. Andrée Viollis


Andrée Viollis
 marche sur les traces de Sévérine, dont elle est de quinze ans la cadette. Collègues à la Fronde, que dirige Marguerite Durand, Andrée rédige, de 1899 à 1903, pour le quotidien des articles contre les antidreyfusards dont son ex-mari Gustave Téry, directeur de L’Oeuvrejournal pacifiste à l’antisémitisme croissant.
Comme Séverine, la jeune journaliste a plusieurs noms, née Françoise-Caroline Claudius Jacquet de la Verryère en Provence quand Paris subit les rigueurs du siège allemand, elle prend ensuite les patronymes de ses deux maris successifs Téry puis Tizac, et enfin le pseudonyme d’Andrée Viollis. Bachelière en 1890, sur dérogation et encore mineure, la jeune fille, dont le père est un ancien préfet du Second empire et la mère tient un salon littéraire, est peu après titulaire d’une double licence et diplômée de l’université d’Oxford alors que ses congénères méritantes mais de milieux plus modestes se contentent d’un cursus d’enseignantes des lycées ou de directrices, ainsi la brillante Anna Amieux. Outre ses activités qui font d’elle la première femme nommée pour le prix Goncourt en 1913, Andrée a de ses deux mariages, quatre filles, dont Simone Téry, grand reporter et écrivaine comme elle. Un an plus tard, toujours pimpante, vêtue de robes de mousseline et en talons, très féminine d’aspect et de caractère, la très petite dame d’un naturel impulsif et généreux, qui voyage en 1ère classe, descend dans les grands hôtels, se déplace conduite par des chauffeurs, obtient le statut de grand reporter pendant la Première Guerre mondiale, tout en officiant en tant qu’infirmière dans les villes bombardées de Bar-le-Duc et de Sainte-Ménehould. Durant trois ans, après-guerre, attachée à la rédaction du Times et du Daily Mail, Andrée entre aussi au Petit Parisien, pour vingt ans. Romancière, la journaliste tire de chacun de ses grands reportages, un livre. En 1930, à près de cinquante ans, quand Anna Amieux approche de la retraite, l’aventurière est le seul témoin extérieur de la révolte de Kaboul et franchit seule l’Himalaya dans un frêle avion de bois. La célébrité est au rendez-vous. Engagée contre le colonialisme, elle publie SOS Indochine préfacé par Malraux, proche du parti communiste, auquel adhère sa fille, et militante antifasciste, elle codirige Vendredi, le journal de soutien au Front populaire, à soixante-six ans. Membre de la Ligue des droits de l’homme et du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme, elle mobilise pour l’Espagne républicaine et se rend sur le front, où sa fille rédige aussi des articles pour Vendredi. Muette lors du pacte germano-soviétique, durant la guerre elle se cache à Lyon et à Dieulefit, où elle écrit Le racisme hitlérien, machine de guerre contre la France publié clandestinement en 1943-44. A la Libération, à soixante-quinze ans, elle vote pour la première fois, et écrit dans Ce soir une enquête officielle sur l’effort de guerre américain. Trois ans plus tard, elle se rend en Afrique du Sud et publie Afrique du sud cette inconnue. Andrée meurt en 1950, sans voir Simone de Beauvoir recevoir le Goncourt près de quarante ans après sa propre nomination.


Andrée Viollis 1870-1850


Viollis Andrée, Indochine SOS, Les éditeurs réunis, 1949, extrait in L'Histoire 2010
Viollis Andrée, Tourmente sur l’Afghanistan, L’Harmattan, 2003, 1ère Ed., 1930
Bari Dominique, Andrée Viollis, Le journalisme une vocation tyrannique, in L'Humanité, août 2012
Viollis Andrée, photographie, in Paris en images
Jeandel Anne-Alice, Andrée Viollis : une femme grand reporter, une écriture de l'évènement, 1927-1939, L'Harmattan, 2006
Racine Nicole, Andrée Viollis, in Maitron J., Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français : 1914 – 1939, Editions ouvrières, 1997
Renoult A., Andrée Viollis, une femme journaliste, Presses Université d’Angers, 2004