Genèse

Acte I  
Au vent printanier
 



Pour faire de grandes choses, il ne faut pas un si grand génie,
il ne faut pas être au dessus des hommes, il faut être avec eux.
Montesquieu.




         



Chapitre premier
Sur les murs, nous écrirons vos noms…


Aux grands hommes la patrie reconnaissante, clame fièrement le fronton du Panthéon.
Depuis la Révolution française, les panthéonisations ont suscité réflexions, débats et polémiques violentes. Qui mérite réellement de la nation ? Pour ce choix cornélien très politique, en deux cent vingt-deux ans, la patrie s’est montrée parcimonieuse, elle-même agitée par les sursauts constants de la démocratie en construction. L’assemblée, à l’image des hommes de son temps et des philosophes des Lumières, s’interroge : « Quel homme est digne des honneurs d’un peuple, communiant autour de son catafalque traversant la capitale ? » Au moment où les révolutionnaires affirment qu’aucune distinction autre que celle liée au mérite et au talent ne peut être tolérée, le suffrage, les droits civils et l’éducation sont fermés aux femmes, sans états d’âme.

Après un incessant va-et-vient révolutionnaire, la fin du Premier empire clôt les portes de bronze. Frustré de panthéonisations, le XIXe siècle en est réduit à créer autant de panthéons de papier que de catégories sociales, de métiers et de tendances politiques, explorant le terrain en mots ou en illustrations.
Les femmes, cantonnées au stéréotype trinitaire de mères, saintes et prostituées ne sont l’objet que de nombreux recensements littéraires plus ou moins romanesques dont le populaire Portraits de femmes de Sainte-Beuve et, peu après, la feuilletonesque Galerie historique des femmes les plus célèbres de tous les temps et de tous les pays, sous-titrée, Les Etoiles du monde, ouvrage collectif enrichi des contributions d’Alexandre Dumas et de Miss Clarke. On a cherché à réunir dans ce livre les femmes qui ont exercé une influence sur leur siècle et sur la nation à laquelle elles appartiennent. L’amour y joue un grand rôle, car c’est le levier au moyen duquel la femme soulève les poids trop lourds pour elle.
Hors des images fantasmées, le XIXe siècle est pour les femmes le temps d’une lente et difficile conquête de l’espace public, de l’accès à la culture et à l’éducation, encore inachevée au XXIe siècle. Les rendre visibles aujourd’hui est nécessaire afin d’acter la considération accordée à l’ensemble des membres du corps social. Peu importe que le bâtiment soit poussiéreux, y apposer enfin, en nombre, des noms féminins battra en brèche les idées, toujours cultivées à l’envi, d’une pénurie de candidates et de luttes, menées comme un combat corporatiste et non en enjeu universel pour l’égalité, la liberté et la dignité.    
Il est temps de faire rayonner celles ayant contribué au développement des valeurs de la république et de la démocratie.
  

Les grandes âmes sont des modèles qui nous renvoient à notre propre médiocrité. Nous sommes accablés par les esprits sublimes. Pour qu’un homme soit au dessus de l’humanité, il en coûte trop cher à tous les autres, disait Montesquieu. Envisager le sublime de nombreuses femmes est-il encore d’un coût par trop exorbitant pour notre société qu’elle préfère les ignorer ou les dénigrer, plutôt que d’en être fière ? Durant des siècles, et jusqu’à il y a peu encore, les femmes furent, plus que les hommes, dans l’incapacité d’accéder à la culture, à l’éducation ou au pouvoir. Quand elles prirent, par intermittence une place de choix, le XIXe siècle s’évertua à en éteindre la mémoire et quand l’aura de certaines ne put être étouffée, il érigea en axiome la règle de l’exception au milieu du vide.
A ce jour, des quatre femmes gisant dans la crypte du Panthéon, l’une, Madame Berthelot, accompagne son mari, l’autre, Marie Curie, est accompagnée de son époux, quant à Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion, leur entrée commune s’est faite accompagnée de cavaliers, certes d’exception eux aussi, mais une fois encore accompagnées selon une tradition d’un autre temps voulant qu’une dame n’entre pas dans un lieu autre que son foyer sans un bras masculin sur lequel s’appuyer. Non sans humour, ou cynisme peut-être, ces couples improbables de résistants sont présentés comme des représentants de la parité. La mixité est louable mais sonne en fuite constante quand trois femmes sont honorées pour soixante-et-onze hommes. La parité panthéonistique est une notion mathématique relative.

Les mérites des trente-sept Panthéonistas évoquées ici, engagées dans la vie artistique, politique ou sociale, en quête de liberté et d’égalité, ainsi que leur mort parfois tragique, font d’elles des prétendantes de taille à l’image de notre pays. Croyantes ou libre-penseuse, de toutes couleurs politiques ou de peau, un même sang rouge coule dans leurs veines.

Geneviève, Héloïse, Christine de Pizan, Marguerite de Navarre, Olympe de Gouges, Manon Roland, Sophie Germain, Eugénie Niboyet, Flora Tristan, George Sand, Jeanne Deroin, Marguerite Boucicaut, Rachel, Julie-Victoire Daubié, Maria Deraismes, Louise Michel, Madeleine Bres, Sophie Lumina, Sarah Bernhardt, Hubertine Auclert, Séverine, Marguerite Durand, Louise Weiss, Rose Valland, Paulette Nardal, Joséphine Baker, Maryse Hilsz, Simone de Beauvoir, Charlotte Delbo et Silvia Monfort nous montrent la voie.

Certaines sont si connues et leurs noms viennent si aisément aux lèvres qu’il est incompréhensible qu’elles n’aient pas encore eu les honneurs du lieu.


Offrons à nos élus leurs trente-sept noms afin qu’ils soient gravés sur les murs extérieurs du trop lisse Panthéon, les Panthéonistas ne s’en formaliseront guère, car la plupart sont entrées par la fenêtre dans notre histoire et parfois dans nos vies. Faisons œuvre de publicité afin que leurs vies édifiantes gagnent les foyers.

Décidons d’aller de l’avant avec audace. Levons les yeux vers celles qui ont œuvré pour l’humanité. Laissons le soleil adorer leurs noms et la pluie les effacer peu à peu.

Ces pages, loin d’être exhaustives, sont un univers de possibles proposé aux bonnes volontés.
D’autres noms vous viendront peut-être, parmi eux ceux de Clothilde, Bathilde, Radegonde, Jeanne d’Arc, Madeleine de Scudéry, Madame de Sévigné, Solitude, Madame du Chatelet, Germaine de Staël, Sophie de Grouchy, marquise de Condorcet, Marthe Simard, Louise Thuliez, Marguerite Yourcenar, Jeanne Verey, Désirée Gay, Suzanne Voilquin, Adèle Esquiros, Pauline Roland, Nelly Roussel, Charlotte Perriand, Marie de Mirbel, Nathalie Lemel, Violette Lecoq, Marie-Louise Rochebillard, Elisa Lemonnier, Simone Weill, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, Ginette Hamelin, Eugénie Eboué, Julie Jules Favre, Marie Madeleine Fourcade, Marceline Desbordes-Valmore, Eugénie Cotton, Suzanne Broio Kepes, Rosa Bonheur, Hélène Basch, Lucie Aubrac.

L’avenir nous offrira d’autres noms à foison, quand le temps le plus lointain possible sera venu, ceux de Claude Mossé, Simone Veil, Gisèle Halimi, Elisabeth et Robert Badinter, Ariane Mnouchkine et Carolyn Carlson seront sans doute de ceux-la. Souhaitons que les murs du Panthéon n’y suffisent pas et que son fronton clame enfin :

Aux grandes âmes la patrie, reconnaissante.

Nos trente-sept Panthéonistas, reflets de notre pays, donneront motifs à réflexion et peut-être le goût de crier Vive l’humanité. Peu importe le résultat pourvu qu’elles suscitent la curiosité et l’orgueil des plus jeunes aux plus âgés.
Il vous restera à prendre la plume et à envoyer le bulletin de votre choix à nos élus afin qu’ils offrent, le nom des Panthéonistas au regard de tous.


A vous de voter !






Chapitre deuxième 
L’esprit du lieu


Le mont Lucotecius, future Montagne Sainte-Geneviève, est occupé aux deux premiers siècles de notre ère, par un temple, peut-être dédié à Bacchus ou à Mercure. En contrebas, de la rue Saint-Jacques à la place Saint-Michel, s’étend le forum où passe la longue voie pavée reliant Lutèce à Lugdunum, près de l’actuelle Sorbonne. En lieu du futur Panthéon, une exploitation d’argile et des ateliers de fabrication de poterie. L’ensemble est entouré de vignobles. A la fin du IIIe siècle, lors de l’attaque des Germains, les habitants de la populeuse rive gauche fuient sur l’Ile de la cité. Rien ne reste après le pillage, seules les vignes repoussent, pas les habitations. Le lustre de la ville n’est pas pour autant éteint.
Durant trois années, à son retour de campagne contre les Alamans, Julien l’Apostat fait de Lutèce son lieu de villégiature. Sur les versants du mont Lucotecius sont bâties des somptueuses villas, dont le palais des Thermes qu’habitent successivement les empereurs Julien et Valentinien. Dix ans plus tôt, Lutèce est devenue Paris. Durant un siècle, des attaques successives réduisent la ville à l’île de la Cité. La rive gauche, dévastée plusieurs fois entre 406 et 416, n’est plus qu’une carrière à ciel ouvert fournissant les pierres utilisées pour la construction des nouveaux remparts, des bâtiments de la Cité et le quartier naissant de Saint-Marcel sur la rive droite. En 470, peu avant la chute de l’Empire romain d’occident, la ville est prise par Chilpéric et son fils, Clovis, mène un nouveau siège en 486, que Geneviève combat depuis l’intérieur.
Trois cent cinquante ans plus tard, en 845, l’île sur la Seine devenue la capitale du royaume des Francs est pillée par les Normands de Ragnar Lodbrok et ses cent vingt navires, portant cinq mille Vikings, plus que le nombre d’habitants de la ville. Charles le Chauve, âgé de vingt-deux ans, petit-fils de Charlemagne, roi de Francie occidentale depuis deux années verse sept mille livres pour obtenir son évacuation. Rançons et pillages se succèdent entre 860 et 869. Enfin, la défense s’organise, mais, malgré la réfection de la muraille gallo-romaine, la rive gauche est totalement détruite lors du siège de 885 à 887. Les fils de Ragnar Lodbrok pillent régulièrement la cité jusqu’en 911. La rive gauche a été désertée, mais le monastère né sur le vieux mont Lucotecius au VIe siècle survit.

Aux premiers jours du Ve siècle, alors que les chrétiens, fidèles au pape de Rome, tentent de contrer les progrès de l’arianisme et le renouveau du paganisme, Clovis, sous l’impulsion de sa femme Clothilde et de Geneviève, fait entreprendre la construction d’une église en reconnaissance de la victoire de Vouillé. Le choix de terrains de la rive gauche, laissés à l’abandon et en hauteur, est fait. La basilique Saints-Pierre-et-Paul est consacrée sur le mont Lucotecius. Au terme d’une année, Clovis y est inhumé, suivi de peu par Geneviève. Trente-trois ans plus tard, la dépouille de Clotilde, ramenée de Tours, les rejoint. Dès sa fondation, le nom de la sainte est donné par les habitants à la basilique. L’appellation populaire est officialisée huit siècles plus tard ; basilique Sainte-Geneviève.
L’aura du monastère masculin, qui prospère au flanc de la basilique, ne cesse de croître tout comme les dons qui l’enrichissent ; terres de Rosny, Nanterre, Vanves, Jossigny et Choisy, troupeaux et serfs. Les Génovains, spécialisés dans les soins et l’enseignement, ont le privilège de ne dépendre que du pape et non de l’évêque de Paris. En 630, Eloi, évêque de Paris, fait orner le cercueil de la patronne de la ville d’une statue et de plaques d’or ainsi que de pierreries. En 857, bien que l’église et l’abbaye soient totalement détruites lors de l’une des invasions normandes, tout est fait pour laisser entendre que la chasse aurait échappé au pillage. Le lieu est en ruine depuis plus d’un siècle et demi quand Robert le Bon fait restaurer l’abbatiale et relever les cloîtres. L’abbaye est alors l’un des centres d’enseignement religieux les plus prestigieux parmi les nombreuses écoles qui s’élèvent sur le mont. Hors les étudiants, l’espace est encore bien vide jusqu’au XIIe siècle.
L’arrogance des Génovains, forts de leur indépendance et de leur richesse, irrite l’abbé Suger de Saint-Denis. Il profite d’un incident pour réduire à sa main les moines et les lie aux ateliers de copistes introduits dans le monastère. En 1180, Philippe Auguste fait reconstruire l’église, sa façade est accolée à celle de l’église paroissiale Saint-Étienne-du-Mont et fait face au dos du futur Panthéon. Peu à peu, la population de la capitale, en pleine expansion démographique, réinvestit le quartier.
Cinq siècles ont passé, l’église est en ruine, les Génovains sont soumis aux Jésuites qui prospèrent, en contrebas sur la rive droite, rue saint Antoine. Le lustre médiéval est bien loin, mais l’appel aux bienfaits protecteurs de la sainte perdure ; sa châsse est sortie, avec un succès aléatoire, cent quatorze fois jusqu’en 1725 afin de lutter contre les épidémies et les sièges. Soixante-et-un ans après sa dernière promenade parisienne, le 21 novembre 1793, la châsse et son contenu sont brûlés en place de Grève ; les cendres sont jetées en Seine. Entre 1802 et 1807, l’église est démolie pour créer la rue Clovis, seuls deux étages de la tour Clovis sont préservés. Peu avant, le curé de Saint-Étienne-du-Mont déclare avoir retrouvé le fond de châsse originelle, ce qui relance les dévotions.

A la veille de la Révolution française, la bibliothèque du monastère comptait cinquante-huit mille imprimés et deux mille manuscrits. Après un moment de flottement, en 1796, l’abbaye est changée en l’Ecole centrale du Panthéon, conservant des éléments de l’ancien couvent dont la cave du XIIIe siècle, le réfectoire de trente mètres de long et neuf de large, devenu la chapelle du lycée, le cloître flambant neuf, intégrant le bel escalier des Jésuites, sa fresque et ses magnifiques colonnes palmiers. Devenu lycée Napoléon en 1804, puis collège Henri IV sous la Restauration, le prestigieux voisin installé, en lieu de l’abbaye, à l’arrière du Panthéon change quatre fois de nom en soixante ans. A la gauche de la maison des grands hommes se dresse la nouvelle Bibliothèque Sainte-Geneviève, là où longtemps se trouva implanté le plus pauvre des collèges parisiens, le collège Montaigu, réputé pour sa pingrerie, son excellence et ses mauvais traitements. Supprimé en 1792, devenu une prison militaire puis une caserne, il est abattu un demi siècle plus tard, pour laisser place à un bâtiment neuf où sont transférés les fonds de la prestigieuse bibliothèque Sainte-Geneviève.


Au plus haut du mont, trône alors le Panthéon.
Son histoire a commencé le 8 aout 1744. Louis XV, lancé dans la Guerre de succession d’Autriche, tombe malade à Metz et reste dix jours à l’article de la mort. Rétabli, il rend une action de grâce en novembre promettant aux Génovains la reconstruction de la basilique en ruine. Le roi voit grand ; décision est prise de faire l’achat d’un terrain pelé au sommet de la montagne, à l’ouest de l’abbaye, en avant de l’ancienne église. Les caisses de l’Etat sont vides, qu’à cela ne tienne, l’achat est financé par la majoration de trois billets de loterie qui de vingt passent à vingt-quatre sols, un excédent de quatre cent mille livres est ainsi dégagé.
Pourtant, dix années après l’achat du terrain, rien n’est sorti de terre, faute de liquidités et de maître d’œuvre. En 1755 enfin, Soufflot est désigné architecte, pour son audace et son inventivité. Sa priorité est à la construction d’une église fonctionnelle autour de la châsse de Sainte-Geneviève qui doit être déplacée dans le bâtiment moderne inspiré de Saint-Pierre-de-Rome. L’église dotée d’un plan en croix grecque, d’un portique corinthien colossal et d’un fronton, est surmontée d’une tour lanterne de deux coupoles à la croisée des travées, là où la châsse portée par les vertus cardinales prendra place. Quarante-deux baies vitrées ceinturant le sanctuaire, l’irradient de lumière. Le projet s’enlise car les plans jugés trop audacieux sont refondus plusieurs fois et lorsque le chantier des fondations est entrepris, la découverte de soixante-neuf puits d’extraction d’argile gallo-romains, posant d’importants problèmes de structure, l’arrête. Vingt ans près le vœu royal, la crypte est enfin finie.
Madame de Pompadour est morte depuis cinq mois, quand le souverain pose enfin la première pierre scellée avec sa truelle de vermeil devant un châssis en trompe l’œil de taille réelle, représentant la future façade. Les Parisiens se pressent sur la tribune dressée pour l’événement. Durant les trois années suivantes, le projet est sans cesse remanié et le chantier stagne faute d’argent. A la mort de Soufflot en 1780, une génération après le début des travaux, la couverture des nefs est à peine achevée. Son neveu et collaborateur prend sa suite, mais ce n’est qu’une décennie plus tard, en 1790, que le dôme est placé sur un immense tambour. Dans Paris, guide par les principaux écrivains et artistes de France publié en 1867, Edgar Quinet écrit : Soufflot n’a pas bâti son édifice sur la légende. Il a vécu en pleine lumière avec Montesquieu, Rousseau, Buffon, Voltaire, ces cinq colonnes du siècle de l’esprit. La pensée de ces hommes pénètre partout dans son édifice, tout le monument est immergé dans la lumière du XVIIIe siècle, elle circule autour de la colonnade, elle monte, elle scintille sous le dôme. Ce rayon obstiné de l’esprit vous accompagne jusque dans les tombeaux. Si le monument a un caractère, c’est d’être bâti de lumière. L’église n’est que lumière fusant tant des baies des collatéraux que des coupoles.
Ainsi au terme de quarante-six ans, sur un périmètre exigu et pentu, trois églises coexistent, Saint-Étienne-Du-Mont, église paroissiale, la vielle église abbatiale Sainte-Geneviève, qui s’effondre peu à peu, et la nouvelle église non consacrée. Louis XV est mort depuis seize ans, son petit-fils, Louis XVI lui a succédé, la Bastille est tombée, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a été rédigée et une assemblée nationale constituante siège à Paris. L’idée de laïciser le site et d’en faire le Temple de la Nation est lancée sur le champ, elle est acceptée à la quasi unanimité, mais les députés sont très partagés sur les grands hommes à honorer.

Le plus acharné des partisans de la laïcisation panthéonistique est le marquis de Villette, cousin du marquis de Sade. A cinquante-trois ans, il a brûlé ses lettres de noblesse dans un élan tout égalitaire. Nommé député de l’Oise, il souhaite que le Panthéon soit la sépulture de Voltaire qu’il considère comme un père et qui est mort dans son hôtel particulier. Que le Panthéon reçoive les statues de nos grands hommes et que ses voûtes souterraines renferment les cendres des morts célèbres. Comme Saint-Fargeau, il est nourri d’un courant inspiré de la lecture de Fénelon, Montesquieu et Voltaire, qui ont rejeté le héros combattif, au profit d’une mémoire nouvelle et laïque du héros citoyen.
Le sort accélère les débats, quand, le premier homme panthéonisé est un député mort prématurément, le 2 avril 1791, le comte Honoré Gabriel Mirabeau. Son entrée permet d’entériner la fonction du bâtiment.
Le discours prononcé par le marquis de Pastoret, député de Paris, déclenche une marée d’applaudissements menés par Robespierre et Barnave :
« Messieurs, le Directoire du département propose à l'Assemblée nationale de décréter :
1. Que le nouvel édifice Sainte-Geneviève soit destiné à recevoir les cendres des grands hommes, à dater de l'époque de notre liberté ;
2. Que l'Assemblée nationale puisse seule juger à quels hommes cet honneur sera décerné ;
3. Que Honoré-Riquetti Mirabeau en est jugé digne ;
4. Que les exceptions qui pourront avoir lieu pour quelques grands hommes, morts avant la Révolution, tels que Descartes, Voltaire, Rousseau, ne puissent être faites que par l'Assemblée nationale ;
5. Que le Directoire du département de Paris soit chargé de mettre promptement l'édifice Sainte-Geneviève en état de remplir sa nouvelle destination, et fasse graver au-dessus du fronton ces mots :

Aux grands hommes la patrie reconnaissante.

L’affaire est entendue, sous un tonnerre d’autosatisfaction, l’assemblée acte que le Panthéon, comme la vie politique et la vie publique, est une affaire d’hommes. Commence le ballet des catafalques passant la porte de bronze.

  
L’intérieur de la basilique pâtit immédiatement de sa nouvelle affectation. Jugée trop lumineuse, les trente-neuf fenêtres basses sont murées et des verres dépolis sont posés sur les parties hautes. Le bâtiment aux façades aveuglées perd le peu de décoration déjà installée au profit d’un décor patriotique retiré sous la Restauration et replacé en 1833. Une statue de la Renommée de neuf mètres de haut est commandée pour couronner le dôme.
Les funérailles de Mirabeau sont fastueuses. De son côté, la translation du corps de Voltaire, adoptée aussitôt, est ralentie par la fuite du roi à Varennes et l’incertitude politique née de l’événement. Quand elle est lancée, la cérémonie grandiose est déjà sujette à polémiques. L’aménagement de la crypte destinée à accueillir ses deux premiers hôtes est achevé le 13 décembre 1791. La vieille église Sainte-Geneviève en ruine est toujours là, mais les reliques de la patronne de Paris sont déplacées dans l’église paroissiale de Saint-Étienne-Du-Mont. Quelques mois plus tard, le fronton du Panthéon s’orne d’une liberté saisissant deux lions par leur crinière attelés à un char écrasant le despotisme.
Un an plus tard, le 24 janvier 1793, le premier héros de la Révolution fait son entrée au Panthéon. Louis Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, député de l’Yonne à la Convention qui a voté la mort de Louis XVI, a été assassiné trois jours plus tôt, le jour de l’exécution royale par un ancien garde du souverain. Morts violentes et panthéonisation se construisent alors une histoire commune. Saint-Fargeau ne reste guère dans la crypte, car sa fille demande la restitution du corps de son père deux ans plus tard. Les années 1793 et 1794 voient se multiplier les fêtes des martyrs de la révolution, tandis que la dépouille de Mirabeau a été exhumée, chassée par celle de Marat, rédacteur de l’Ami du peuple. Il n’y reste lui-même que cinq mois, exhumé à son tour, entre temps Jean-Jacques Rousseau est installé aux côtés de Voltaire son meilleur ennemi. Durant onze ans, de 1795 à 1806, les deux philosophes sont les deux seuls locataires du lieu car la décision a été prise de laisser passer des années avant d’octroyer de nouveaux honneurs patriotiques. Des fissures apparaissent sur les voûtes, des étais sont posés.

Avec le Consulat, le Panthéon est rendu au culte, mais il n’a toujours pas été consacré. Les six chanoines nommés ne peuvent officier dans la crypte, la rue d’Ulm est percée, la vieille église de l’abbaye laisse place à la rue Clovis et le monument est dégagé des bâtiments qui le parasitent. Entre 1809-1811, des réaménagements sont faits pour accueillir deux cent quarante-deux dignitaires de l’Empire ; seuls quarante-deux militaires, sénateurs et quelques ecclésiastiques rejoignent les deux philosophes dans la crypte ainsi que Bougainville, Cabanis et le premier gouverneur de la banque de France. Le nombre des élus passe à quarante-cinq et peu après, en 1822 lors de sa consécration, la châsse, refaite et vide, est ramenée en grande pompe au cœur de l’église, le fronton révolutionnaire est détruit l’année suivante.
En 1830, après une nouvelle révolution, Aux grands hommes est rétabli, les reliques retournent à Saint-Étienne-Du-Mont et la croix du dôme est remplacée par un drapeau tricolore. Une grande composition de David d’Angers, la quatrième, orne le fronton ; la Patrie distribue aux grands hommes, civils et militaires, des couronnes que lui tend la Liberté tandis que l’Histoire inscrit leurs noms sur un livre. La révolution suivante, celle de 1848, pense en faire un temple de l’Humanité ce qui reste lettre morte, les débats prennent fin avec le troisième retour du clergé et l’érection d’autels de fortune après le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte. Le 21 janvier 1853, en expiation de la mort de Louis XVI, soixante ans plus tôt, la châsse de Sainte Geneviève, réalisée une génération plus tôt, fait sa seconde entrée dans le Panthéon.
Depuis le XVIIIe siècle, le quartier est fait de tavernes et de lieux misérables qui prospèrent de l’indigence des nombreux étudiants faméliques et des lorettes gravitant près de la Sorbonne et des lycées environnants. Durant la guerre contre la Prusse et le Siège de Paris, en 1870-1871, les obus de la batterie de Chatillon trouent le dôme et endommagent des voûtes. Les hôtes de la crypte cohabitent avec des réserves de poudre et de munitions. Au printemps 1871, les partisans de la Commune s’emparent du Panthéon et plantent un drapeau rouge sur son lanternon. Durant la Semaine sanglante, les barricades dressées autour du bâtiment brisent deux jours durant les assauts versaillais. En 1873, la IIIe République replace une croix de pierre d’une tonne cinq sur le dôme. Les polémiques reprennent à l’assemblée, qui redonne enfin sa fonction au lieu pour Victor Hugo, en 1885. Les funérailles de l’auteur des Misérables sont monumentales, son catafalque géant trône sous l’arc de triomphe, une journée de deuil national a été décrétée, commerces et grands magasins ont baissé leurs rideaux. L’Europe entière envoie des couronnes, le défilé en son honneur parcourt la ville durant neuf heures. A cette occasion, les symboles religieux sont retirés du fronton et le bâtiment est voué aux restes des grands hommes qui ont mérité de la reconnaissance nationale. En soixante-dix ans d’existence, parcimonieux, le régime panthéonise onze hommes.
A la fin du siècle, donner un nom de femmes à un lycée féminin est quasi impossible, penser à une panthéonisation féminine, mieux vaut en rire. En 1889, pour le centenaire de la Révolution française sont amenés dans la crypte quatre révolutionnaires non sans polémiques, car les descendants de Hoche refusent que leur ancêtre passe la porte de bronze en compagnie de Lazare Carnot qui l’avait fait arrêter pour trahison en 1794.
En 1892, le petit-fils de Lazare, Marie François Sadi Carnot, président des Français, commémore le centenaire de la République, ignorant que deux années plus tard il sera inhumé en ces lieux après avoir été victime d’un attentat. Seul président ayant les honneurs du Panthéon, il perpétue, à ses dépens, la tradition révolutionnaire de l’homme politique versant son sang pour la république.
Une décennie plus tard, Hémicycle et presse s’enflamment autour d’Emile Zola, l’immigré italien, auteur d’œuvres décadentes et ardent dreyfusard, mort dans de mystérieuses circonstances en 1902. Les esprits s’échauffent mais l’assemblée statue en faveur de son entrée. Lors de la cérémonie, un journaliste tire deux coups de feu sur Alfred Dreyfus. Loin de la violence et du bruit, l’année précédente, la discrète panthéonisation de Marcellin Berthelot voit l’arrivée de la première femme dans la crypte au simple titre de conjointe.
Une grande cérémonie a lieu en 1920, pour le soldat inconnu avant qu’il ne soit conduit sous l’Arc de triomphe et le cœur de Gambetta est placé dans la crypte. Quatre ans plus tard, le Cartel des gauches obtient dans une agitation échevelée le vade me cum de Jean Jaurès. En 1933, Paul Painlevé, mathématicien et président du conseil, est à peine mort qu’il est panthéonisé.
A la Libération une plaque portant le nom des écrivains morts pour la France est apposée. La IVe république, en douze ans de vie, parvient à faire panthéoniser cinq élus. Un record. Parmi eux, Paul Langevin, Félix Eboué et Victor Schœlcher. Quatorze personnalités sont distinguées par la Ve République en un demi siècle, le ralentissement est net et les entrées irrégulières, mais un cinquième des élus sont des femmes. En 1995, Marie Curie et Pierre, son époux, sont distingués, et vingt ans plus tard, Geneviève de Gaulle Anthonioz et Germaine Tillion. Marie, Geneviève et Germaine sont les trois seules femmes honorées à ce jour en deux cent vingt ans.

Forts du dernier sursaut égalitaire de 2015, poussons plus loin notre prospection en quête de Panthéonistas dignes de la Patrie reconnaissante.






Geneviève - Héloïse - Christine de Pizan
Marguerite de Navarre

Chapitre troisième
Pionnières


Recueillons pour commencer quelques grands noms à dater d’avant l'époque de notre liberté, quelques gouttes d’eau dans un océan de femmes ayant vécu avant la Révolution française.

Les premières Panthéonistas sont les femmes politiques du Haut Moyen-Age.
Gallo-romaines, franques, mérovingiennes et carolingiennes, esclaves devenues reines, filles de princes, régentes, toutes sont des femmes de pouvoir ayant promu le christianisme et de fait laissé leur nom dans la tradition historique chrétienne écrite par les moines, la seule qui nous soit parvenue. Bien d’autres, restées anonymes ariennes ou païennes, auraient pu prétendre aux murs du Panthéon, mais leurs noms et leur mémoire se sont perdus. Parmi les chrétiennes, les héroïnes locales ont tôt fait d’être canonisées : Clothilde, Geneviève, Bathilde, Radegonde. Modèles messianiques, elles sont avant cela des femmes d’exception en des temps troublés où le monde romain occidental s’effondre peu à peu et le christianisme romain est en déprise.

Geneviève est la représentante des patriciennes, issues de familles métissées d’apports gallo-romains et francs. Célibataire gérant un immense patrimoine, femme d’action, politique et ascète, contemporaine de l’oriental Saint-Siméon le stylite, Geneviève naît au début du Ve siècle à Nanterre. Lutèce compte entre deux et cinq mille habitants, sa rive gauche, où ont fleuri de belles villas près du forum et de son grand temple, est dévastée à de nombreuses reprises en une décennie.
Objet d’une dévotion particulière de son vivant, à laquelle sa longévité exceptionnelle n’est pas étrangère en un temps où l’espérance de vie moyenne est de moins de trente-cinq, les Parisiens font d’elle une ancre dans une période d’instabilité et d’invasions constantes. Canonisée en un temps record, à partir d’une hagiographie écrite dès le lendemain de sa mort, commandée par Clotilde, souveraine franque avec qui elle a œuvré à la pacification et à la rechristianisation de la société. La canonisation de la reine, peu après, dit assez le lien institutionnel, politique et social entretenu par ces deux femmes. Elles contribuent à la conversion de Clovis, amenant le pouvoir franc dans les rangs de l’Eglise et surtout dans ceux des vestiges de l’ordre romain ancien, de même qu’elles rendent Paris éligible au rang de capitale du nouveau royaume des Francs. De quoi, pour certains, faire de Geneviève une sainte capable de miracles et, pour d’autres, d’y voir l’œuvre d’une politique efficace, soucieuse de ses contemporains. Le culte qui lui est voué très populaire auprès des plus humbles et des puissants, au gré des intérêts politiques et/ou cléricaux, brouille son image. Victime de la mode pastorale au XIIe siècle, la voici changée en une simple bergère filant sur la colline de Nanterre loin de la femme d’action qu’elle fut.
Issue d’une famille de l’aristocratie gallo-romaine, née vers 423, elle aurait été distinguée, à  sept ans à peine, par deux évêques, celui de Paris et celui de Troyes, où le plus gros des propriétés familiales étaient localisées. Orpheline, ascète, ne consommant, selon sa Vita, pas plus d’un repas tous les deux jours, l’enfant s’installe chez une de ses tantes sur l’île de la Cité, consacrant sa fortune et ses revenus aux plus démunis, tout en vivant elle-même dans le dénuement. En 451, à près de trente ans, elle convainc les Parisiens de ne pas fuir face à l’avancée des Huns et organise la résistance en assumant le rôle dévolu à l’évêque, en transgression de l’ordre hiérarchique. Quatorze ans plus tard quand Childéric, père de Clovis, assiège la ville, elle force le blocus pour ravitailler la ville, ramenant onze barques chargées du blé de ses terres de Troyes.
Le 3 janvier 512, Geneviève fille d’un père franc romanisé, Sévère, et d’une mère grecque Gérontia, que ses parents ont doté d’un nom gaulois, s’éteint à quatre-vingt-neuf ans. Elle est inhumée dans l’abbatiale qu’elle a contribué à faire bâtir sur le mont de Mercure, consacrée à Saints Pierre et Paul au sein d’un monastère chargé de promouvoir le savoir et  l’enseignement. Les habitants, n’en font qu’à leur tête et l’appellent déjà de son nom : abbaye Sainte-Geneviève. L’Empire romain d’occident est tombé depuis trente-huit ans.
Geneviève est femme des temps de chaos, ceux qui voient l’ordre gallo-romain s’effondrer quand l’ordre franc émerge à peine.

Près de six siècles se sont écoulés quand naît Héloïse de Paraclet ou d’Argenteuil, considérée comme la première femme de lettres d’occident dont le nom nous soit parvenu. Née vers 1094 à l’abbaye du Paraclet dans l’Aube, dans un occident à la démographie galopante prêt à partir à la conquête de la Terre Sainte, fille illégitime d’un noble, elle semble indissociable de l’ombre d’Abélard, son aîné de quinze à vingt ans, son maître, son précepteur, son amant et son mari. Elle est plus connue par les écrits des autres que par les siens, surtout par l’autobiographie édifiante rédigée par le très vaniteux Abélard, Histoire de mes malheurs. Néanmoins, sept de ses lettres, dont l’authenticité a longtemps été remise en cause, nous sont parvenues. Au temps de l’amour courtois, ces lignes racontent un amour violent, fait de mauvais traitements plus ou moins consentis. Seuls vestiges de la femme la plus brillante et la plus scandaleuse de son temps.
De haute stature, musicienne, compositrice, versée dans le latin, le grec et l’hébreu, Héloïse est la jeune fille en vue, la « hit girl » de son temps, ses chansons sont reprises par les turbulents étudiants de la rive gauche logés au pied de l’abbaye Sainte-Geneviève. L’oncle de la belle, chanoine de Notre-Dame, la confie aux bons soins de Pierre Abélard, qui la séduit, lui fait un enfant, l’épouse secrètement, alors qu’elle s’y refuse, pour ensuite la placer, toujours malgré elle, dans un couvent à moins de trente ans. Entre-temps l’amant devenu époux avait été châtré. Enfermée à l’abbaye d’Argenteuil, la chansonnière en est l’abbesse jusqu’à sa dissolution.
Réfugiée au prieuré du Paraclet, Héloïse refuse les règles établies par Abélard, adopte la règle bénédictine, échange à ce sujet avec Pierre le Vénérable et établit trois innovations en son couvent ; l’accession de toutes les moniales à toutes les fonctions, l’exercice quotidien de la prédication par les femmes, ce qui exclut la clôture, et le refus du contrôle du monastère par les donateurs. La belle érudite meurt à près de soixante-dix ans.


         Christine de Pizan, capitaine de son navire, bien que mariée, est connue sous son nom de jeune fille par respect pour son père, mais surtout parce qu’elle s’aventure sur la route inédite des femmes auteures vivant de leur plume.
Deux siècles ont tout juste passé depuis la mort d’Héloïse, quand naît à Venise la petite Christine de Pizano. Son père médecin et astrologue, est invité par Charles V qui cherche à lier des relations avec la Sérénissime. En 1371, la famille toute entière s’installe à Paris, Christine a cinq ans, la France vit au rythme de la guerre de Cent ans qui a débuté depuis une génération déjà. Confortablement doté par le roi, le Vénitien marie sa fille de quinze ans à Etienne Castel, âgé de vingt-quatre ans, secrétaire et notaire du roi, en pleine ascension sociale, dans un monde rendu vide par les guerres et les épidémies successives de peste décimant l’Europe depuis un quart de siècle. La jeune épousée vit dix années de bonheur, de prospérité et d’insouciance. Le malheur frappe soudain quand le roi à peine âgé de quarante-trois ans décède suivi de peu par le père de Christine. Malgré ce premier coup du sort, les Marmousets qui sont au pouvoir offrent de belles perspectives de carrière à son époux mais il meurt lui aussi, lors d’une occurrence du Grand mal en 1390. Christine est, à vingt-cinq ans, veuve, couverte de dettes ayant à charge un fils, une fille et une nièce. Elle ne peut donc entrer au couvent et refuse de se remarier.


Après une violente dépression aux relents suicidaires, elle décide de vivre de sa plume, écrivaine de langue française, contribuant par ses textes au développement savant de la langue vernaculaire. Veuve et solitaire, acharnée à l’étude, elle est en peu de temps une poétesse et philosophe assurée. N’hésitant pas, à trente-quatre ans, à défier les fins lettrés de son temps dans la violente querelle du Roman de la rose en se posant en championne de l’honneur des dames. Savante mais aussi femme d’affaire, elle constitue et dirige un atelier de copistes qui reproduit ses œuvres offertes ou vendues aux puissants. Première femme à vivre de sa plume, elle rembourse les dettes de son père, celles de son époux et établit son fils.
Le duc Jean de Berry achète ses œuvres quand le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, lui commande Le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V et engage son fils Jean. L’année suivante la guerre civile fait rage de nouveau. Restée à Paris la femme de lettre se plonge dans l’écriture, les temps ne sont plus au mécénat. Elle versifie pour la défense de l’honneur des dames et sauver la France de la division. Deux de ses livres font sa renommée : Le livre de la cité des dames et Le livre des trois vertus ou Le trésor de la cité des dames, écrits en 1405-1406, où elle donne  à ses contemporaines des conseils pratiques afin qu’elles prennent conscience de leur rôle social. Paris passe aux mains des Anglo-Bourguignons, son fils change d’allégeance, rejoint le parti du roi Charles VII et le suit en exil à Bourges.
Christine se réfugie auprès de sa fille, au prieuré royal de Poissy. Elle apprend peu avant sa mort le sacre du dauphin exilé et le rôle joué par Jeanne d’Arc. La poétesse rédige en son honneur sa dernière œuvre, Ditié de Jehanne d’arc, dans l’euphorie suscitée par les événements de l’été 1429. La fille de Tommaso di Benvenuto da Pizzano s’éteint quelques mois plus tard à soixante-six ans.

 

Marguerite de Navarre et d’Angoulême naît l’année de la découverte de l’Amérique. Sœur aînée de François Ier, fille de Louise de Savoie, mère de Jeanne d’Albret et grand-mère d’Henri de Navarre, roi de France sous le nom d’Henri IV, belle, brillante, diplomate, écrivaine et mécène, elle est surnommée la dixième muse. Arrière-petite-fille de Louis d’Orléans, que Christine de Pizan contacta en vain pour placer son fils, Marguerite est orpheline de père à quatre ans. Sa mère, Louise de Savoie, qui n’a que seize ans de plus qu’elle, est veuve à dix-neuf ans et lui transmet son amour des livres. Dès ses huit ans, l’enfant est l’objet de la convoitise matrimoniale des plus grandes cours d’Europe, mais à dix-sept ans, elle doit se contenter du bien pâle et peu lettré duc d’Alençon pour éteindre un procès entre leurs deux familles. L’accession au trône de son frère change sa vie, enfin la cour lui ouvre les bras, elle y assure une grande part des charges dévolues à la reine, sa pauvre cousine, Claude de France, qui toujours grosse, finit par succomber. Lettrée, la sœur du roi choisit pour secrétaire et valet de chambre le poète Clément Marot qui dit d’elle : corps féminin, cœur d’homme, tête d’ange.
Dans l’effervescence de la victoire de Marignan, Marguerite compose beaucoup et entretient une correspondance assidue avec les partisans influents de la Réforme. Dix ans plus tard, sur un champ de bataille près de Pavie, son monde s’effondre. La fine fleur de la noblesse française est décimée, son mari blessé meurt à Lyon et son frère vaincu est retenu prisonnier par son ennemi Charles Quint. Elle part pour l’Espagne avec mission de négocier sa libération. L’aventure échoue. Deux ans plus tard, veuve de trente-cinq ans et sans enfants, François Ier, de retour en France, la marie d’office à Henri II d’Albret, roi de Navarre, de douze ans son cadet. Marguerite accouche l’année suivante de Jeanne d’Albret et perd successivement ses deux fils puinés. La plume l’aide à tromper la douleur et l’ennui, les ouvrages se succèdent, dont afin de lutter contre l’intolérance, Les Marguerites de la Marguerite des princesses, près de deux siècles et demi avant Voltaire. Après l’Affaire des placards, subissant les foudres de la colère fraternelle, la belle exilée mécène dans son fief reculé reçoit les dédicaces de nombre d’œuvres, dont le Tiers livre de Rabelais. L’écriture lui revient. Dramaturge, Marguerite multiplie les farces et enfin, en 1542, à cinquante ans, elle se lance dans la rédaction de L’Heptaméron, tout en gérant, en bon régisseur, ses terres en l’absence de son mari.
En 1548, trois siècles avant les revendications suffragistes de Maria Deraisme et de Jeanne Deroin, elle perd son second fils, son frère et se voit contrainte d’accepter, malgré la résistance  désespérée qu’elle oppose, le mariage de sa fille unique avec Antoine de Bourbon Vendôme. La dixième muse s’éteint seule l’année suivante à cinquante-sept ans.

Durant la période de l’avant à dater d’avant l'époque de notre liberté, un grand nombre d’autres femmes mériteraient notre attention, parmi elles, entre les XVIIe et XVIIIe siècles, des femmes de lettres, telles Madame de Sévigné ou Madame de Staël, des comédiennes, telle Madeleine Béjard, des salonnières et des femmes scientifiques telle Madame du Châtelet.






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