vendredi 10 avril 2015

8. Anna Amieux



Issue d’une modeste famille protestante lyonnaise, la brillante et précoce Anna Amieux, née un mois après la fin de la Commune de Paris, obtient son diplôme de fin d’études secondaires au lycée de Lyon, intègre l’École de Sèvres à dix-huit ans et en sort agrégée de sciences à peine majeure.  Fille d’un employé des chemins de fer, elle finit sa carrière dans le fauteuil de directrice de l’École de Sèvres. Loin du monde et des privilèges d’Andrée Viollis, qui entre à l’Université et vit dans un milieu qui peut défier les normes sociales, Anna, devant suivre des règles strictes de moralité, fait carrière mais n’a ni mari ni d’enfant. Son ascension à l’intérieur d’une institution des plus rigides, par son talent, son initiative et sa volonté d’améliorer le sort de ses semblables, la porte à un poste de direction en un temps record. Anna aspire à modifier le regard posé sur les femmes par la société afin que la condition de la Française change.
Je crois que les jeunes filles françaises de classe moyenne, pour qui les lycées ont été fondés, sont actuellement les plus mal partagées. Si l’on excepte le petit nombre de celles qui, riches, ont presque la certitude d’être recherchées pour le mariage dans leur milieu, on peut dire que les autres, par prévoyance ou par nécessité immédiate, doivent s’assurer un gagne-pain. Quand elles se mettent à l’ouvrage, déjà possédées par ce besoin de dévouement inhérent à leur nature, elles ne peuvent choisir qu’entre un petit nombre de carrières, elles sentent qu’on ne les encourage pas, qu’on les regarde souvent agir sans intérêt, comme « des êtres qui manquent leur vie » et à qui plus tard, le cas échéant, on reprochera de n’avoir pas de foyer. Les mieux douées ou les plus favorisées du sort font leur trouée dans le monde par le travail ou le mariage, les autres végètent, luttent, révoltées ou résignées, souffrent, s’étiolent. Le tableau est sombre, sans l’être trop.
Encouragée par ce qu’elle a vu lors de son voyage américain, financé par le mécène humaniste Albert Kahn, Anna souhaite changer la place des femmes instruites en France, ce qui n’est possible qu’en changeant la société et l’enseignement.
Cet état de choses, cruel pour les individus, est mauvais pour le pays qui perd ainsi de réelles sources d’énergie. Est-il sans remède ? Le remède doit venir, je crois de deux côtés : de la société et des femmes. La société pourrait : 1° Modifier les idées sur les conditions du mariage.
      2° Accepter ce fait que certaines femmes sont obligées de vivre seules et qu’elle doit les aider, les encourager à se créer une existence indépendante, honorée et utile. Je crois aussi que les jeunes filles doivent être averties de l’alternative qui les attend et préparées à l’une et l’autre vie. Cette préparation a son point de départ dans la famille, mais l’école peut et doit intervenir. 
Ce n’est pas trop lui demander que d’être le début de la vie vraie.
Ainsi durant la Première guerre mondiale, dix ans après son séjour américain, la brillante Anna, offre aux jeunes scientifiques françaises les premières carrières d’ingénieurs, en créant dans une annexe du lycée Jules Ferry une section d’élite préparant l’entrée à l’École Centrale des Arts, la seule école masculine dont le règlement est évasif quant au sexe des candidats. Huit jeunes filles formées dans son établissement concourent sur fond de polémique. Sept sont admissibles et quatre sont admises dont la major de promotion. Jusqu’en 1923, de trois à quatre élèves féminines entrent, chaque année, dans l’antre de la science faite homme grâce aux initiatives d’Anna. Le coup d’éclat la promeut directrice de l’École de Sèvres,  elle a quarante-huit ans. Par les voies scientifiques et pédagogiques d’excellence sa vie durant, Anna s’est engouffrée dans chacune des brèches où il lui a été possible d’agir pour l’instruction et la progression des femmes et de la science, en rêvant d’égalité, suffragiste Anna vote pour la première fois à soixante-quatorze ans et s’éteint dix-huit ans plus tard, à quatre-vingt-douze ans.



Anna Amieux 1871-1963






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