jeudi 9 avril 2015

2. Sarah Bernhardt

Henriette Rosine Bernard, née en 1844, se forge, en près de quatre-vingt ans, un nom, Sarah Bernhardt, et une devise, Quand même. Fervente admiratrice de Rachel, qui meurt l’année de ses onze ans, elle veut vivre à son image et rendre les scènes incandescentes. Sarah dépasse son modèle en dirigeant son propre théâtre. Fille d’une courtisane juive hollandaise, inscrite au couvent des Grands-champs à Versailles, elle vit une crise mystique, se fait baptiser, et envisage d’entrer en religion. A quatorze ans, trois ans après la mort de son idole, Sarah est reçue au Conservatoire. A dix-neuf ans, elle entre à la Comédie-Française et en est renvoyée sept ans plus tard pour avoir giflé une sociétaire. A la veille de la guerre de 1870, la rousse Sarah est repérée à l’Odéon. L’année suivante, lors du siège de Paris, alors que Madeleine Bres officie en tant qu’interne provisoire, l’actrice change l’Odéon en hôpital de fortune, où officiant en tant qu’infirmière, elle dispense des soins au futur général Foch, qu’elle retrouve quarante-cinq ans plus tard dans sa tournée aux armées sur le front.
Actrice et demi-mondaine, les hommes font sa fortune. Après la guerre de 1870, Hugo, de retour d’un exil de vingt ans, rencontre la Lionne qui a vingt-sept ans. En retour, le poète l’aide à maîtriser son jeu. Le succès est quasi immédiat, alimenté par une solide campagne médiatique. Sarah joue quatre pièces en 1871 et se fait une réputation de réparties assassines qu’elle agrémente de quelques axiomes. Il faut haïr très peu, car c'est très fatiguant, il faut mépriser beaucoup, pardonner souvent, mais ne jamais oublier. L’année suivante, elle triomphe dans le rôle de la reine dans Ruy Blas de son mentor, la Comédie française la rappelle six ans après son renvoi. Jouant Racine et Hugo, elle réconcilie anciens et ex-modernes. La réussite vient sur le tard, quand la silhouette androgyne qui lui a posé bien des problèmes la mène au triomphe dans des rôles travestis d’adolescents, dont L’Aiglon d’Edmond Rostand qu’elle joue jusqu’à ses cinquante-six ans.
A trente-six ans, la Divine démissionne de la Comédie française à qui elle doit de conséquents dommages et intérêts, ce qui n’entrave pas la création de sa propre compagnie, avec laquelle elle fait fortune en jouant sur les cinq continents, véhiculée dans un train spécialement affrété pour sa troupe et ses huit tonnes de malles personnelles. En 1882, Sarah prend la direction du Théâtre de la Renaissance. Dreyfusarde, elle soutient Zola, comme elle a toujours soutenu Louise Michel. Les deux femmes ont, entre autres, pour cause commune leur opposition à la peine de mort. En 1903, à l’âge de cinquante-neuf ans, Sarah est Hermione, la jeune première d’Andromaque. A soixante-dix ans, la République lui offre la Légion d’honneur, peu avant que l’actrice ne soit amputée de sa jambe droite qui la fait souffrir depuis des décennies. En hommage au courage des hommes sur le front, elle refuse toute anesthésie et se rend dans la salle d’opération en chantant la Marseillaise. A peine rétablie, elle reprend, en chaise à porteur, la tournée aux armées qu’elle mène durant tout le conflit.
Travailleuse infatigable et fantasque, dormant dans un cercueil afin d’alimenter la légende, elle réinvente sans cesse sa vie dans ses mémoires, joue plus d’une centaine de spectacles, écrit quelques pièces, des mémoires, des récits et s’éteint à soixante-dix-neuf ans. Sa voix d’or ne résonne plus, le pays offre au Monstre sacré des funérailles nationales.




Sarah Bernhardt 1844-1923


Bernhardt Sarah, Ma double vie : mémoires, 1907, in Gallica, BnF et Phébus, 2000
Bernhardt Sarah, Jolie Sosie, 1920, in Gallica, Grand Caractère, 2007
Bernhardt Sarah, photographies 1874, in Gallica

Bernhardt Sarah, photographies, in Paris en images
Delbée Anna, Le sourire de Sarah Bernhardt, Fayard, 2000
Gidel Henry, Sarah Bernhardt, Flammarion, 2005
Guibert Noëlle, Portrait(s) de Sarah Bernhardt, catalogue BnF, 2000
Picon Sophie-Aude, Sarah Bernhardt, Gallimard, 2010
26 mars 1923, la mort de Sarah Bernhardt, in Les jours du siècle, 1997, in Ina
Funérailles de Sarah Bernhardt in British Pathé 1923
Sarah Bernhardt, dit la "Mort d'Izeil" de Maurice Bernhardt 1903, in Ina
Sarah Bernhardt dans Phèdre, 1910
La naissance du vedettariat et Sarah Bernhardt par Nadar in L'Histoire par l'image


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